Bande-annonce
La presse en parle

ENTREVUE AVEC ROBIN AUBERT

Propos recueillis par François Lévesque

Quel a été le tout premier flash qui t’est venu en amont du projet?

Je me vois encore: je me tenais au milieu des fougères, chez-nous. J’étais en train de sarcler des fleurs sauvages, près de l’écurie. J’ai soudain eu cette image d’un vieillard, dans une chambre, que je filmerais en temps réel: un vieux monsieur encabané, enfermé dans un CHSLD…

Tu as plutôt l’habitude d’écrire tes scénarios en solo. Celui-ci, tu l’as écrit en collaboration avec Julie Roy, qui est aussi une réalisatrice et ta conjointe à la ville.

Dès que j’ai eu cette idée, j’en ai parlé à Julie et lui ai demandé si ça lui tentait qu’on écrive le scénario ensemble. Écrire à deux comme ça, j’étais conscient que ce serait un avantage, parce que ça m’aiderait à ne pas me répéter. Julie, elle me connaît, et elle est capable de spotter mes tics ou mes lubies pas nécessairement appropriées pour cette histoire-ci. Par exemple, à un moment, je voyais la femme du protagoniste flotter au-dessus de lui comme un fantôme. Mais Julie m’a dit: «Non, t’embarques pas là-dedans. T’as voulu faire un exercice réaliste? Respecte ça». Julie est très forte pour maintenir un concept. Dans ce cas-ci, elle en a été la gardienne. Donc, elle me confrontait, mais dans le bon sens.

On était en plein confinement pandémique, faut pas oublier ça. Nous, on était en campagne, avec rien d’autre à faire que de trouver des activités pour les enfants; marcher dans le bois… Une fois que les enfants étaient endormis, on s’installait à la table, Julie et moi, et on écrivait. Je rédigeais un premier jet, elle un second, moi un troisième, elle un quatrième, etc. On se renvoyait la balle. Ça nous ébranlait vraiment, tout ce qui se passait, dans les CHSLD en particulier, et dans le monde en général. Mais bref, ç’a été un projet commun, d’amoureux, pendant la pandémie. Un projet d’amoureux qui raconte l’odyssée d’un bonhomme qui se révolte par amour…

Le film repose sur les épaules de Martin Naud, dans le rôle principal de monsieur Vincent. Il est fabuleux, mais à la base, recourir à un acteur non professionnel, c’était risqué, non?

Le voir jouer, ç’a été une leçon pour moi, en tant qu’acteur. Je me suis dit qu’on gagnerait à en faire moins, bien souvent; à être plus dans une économie du jeu. Il faut savoir qu’au début, j’imaginais Jean Lapointe [vedette d’À l’origine d’un cri] dans ce lit de CHSLD. Mais Jean n’aurait pas pu, à l’époque: j’en ai discuté avec son fils Jean-Marie [qui apparaît dans le film], et ça n’aurait pas été un cadeau à lui faire. 

Eh puis… la certitude qu’il fallait que ce soit un acteur non professionnel s’est imposée. Parce que tous ces gens qui ont souffert, comme ce vieillard qu’on suit dans le film, c’était - ce sont - des personnes anonymes. Elles l’étaient et elles le demeurent. On en a fait grand cas, un scandale et tout ça, mais on est vite passé à autre chose. Je m’aperçois qu’en vieillissant, j’ai des préoccupations plus sociales, dans mes films. Ce film-ci est dans la lignée de Tuktuq: il a une dimension politique. 

Tes films ont toujours une facture singulière et recherchée, peu importe que le budget soit, disons, «normal» (Saints-Martyrs-des-DamnésÀ l’origine d’un criLes affamés), ou minuscule (À quelle heure le train pour nulle part, Tuktuq). Dans ce film-ci, tu as fait des choix visuels très précis et très inspirés.

Pour le ratio d’image, j’ai choisi le 4:3, qui est plus étroit, parce que je voulais un cadre qui, justement, évoquerait l’idée de confinement; un cadre qui serait suffoquant. Dans la même optique, on a fait plein de tests de caméra afin d’identifier une lentille, une seule, avec laquelle on pourrait filmer tout le film. On a trouvé la 28 mm, qui a elle aussi cette qualité «encabanante», anxiogène, que je voulais susciter à l’image.

C’est mon film qui ressemble le plus au scénario final. On a tourné dans la continuité, dans la chronologie du récit, ce qui est rare. Et chaque matin, je me levais à 5h00 et je faisais des croquis des plans à tourner ce jour-là, et je les envoyais ensuite à l’équipe. 

Toujours sur le plan visuel, peux-tu développer sur les influences très éclectiques qu’on peut déceler dans le film?

Dès le départ, il y avait l’influence du peintre Edward Hopper, et des cinéastes Alfred Hitchcock et Chantal Ackerman. Hopper, c’était pour sa lumière. C’est une lumière qui a l’air réaliste, mais qui ne l’est pas tout à fait: c’est une lumière stylisée, très découpée. Elle crée des formes et des angles marqués, selon ce qu’elle frappe. Quand tu filmes une seule pièce, la lumière que tu y fais voyager, et la manière dont tu fais voyager celle-ci, ça devient quelque chose de très important. Aussi, je voulais que chaque plan fixe, en 4:3, soit comme une toile, un tableau. Je ne voulais pas faire un film hyper-réaliste ou pessimiste: je voulais qu’il y ait beaucoup de lumière dans l’image, et une part de poésie. 

Vers la fin, quand le personnage défie la consigne et sort de sa chambre, Hitchcock embarque, parce que le suspense embarque; on change presque de film. Je constate que je reviens toujours aux même influences, de films en films. Je pense que s’il y a peut-être une dizaine de films qui nous ont réellement marqué dans notre vie, il n’y en a peut-être que cinq ou six, max, vers lesquels on retourne inlassablement. Dans mon cas, il y a Vertigo, d’Hitchcock. Encore là, les couleurs. Dans ce films-ci, je reprends entre autres ce vert caractéristique, qu’on a passé une journée à essayer de reproduire; ce plan en silhouette… C’est des hommages voulus. 

Chantal Ackerman, c’est son chef-d’oeuvre Jeanne Dielman23, quai du commerce1080 Bruxelles, avec tous ces plans de gestes du quotidien qui durent et qui durent: l’épluchage de patates… Dans mon film, il y avait cette nécessité de faire durer certains plans jusqu’à l’extrême limite de la patience, parce que le personnage est confiné à cette pièce, avec le temps qui passe, lentement…

Il y aussi un clin d’oeil à Bela Tarr et à son plan d’ouverture de Damnation. Lui recule en filmant une gondole, moi je recule en filmant un mur nu, mais c’est là pour créer le même genre de vortex. J’ai aussi conçu ce plan d’ouverture très lent et très long par politesse pour les gens qui pourraient constater que ce n’est pas leur genre de film: ça leur donne l’opportunité de sacrer leur camp sans déranger les autres spectateurs. En retour, ces derniers pourront ensuite se laisser aller dans ce vortex, qui prend un certain temps à se mettre en place. J’avais utilisé une technique similaire au commencement d’À l’origine d’un cri, avec le plan sur l’aquarium.

Le mot de la fin par rapport à ce sixième long métrage?

Je suis conscient que ce n’est pas le genre de films qui va plaire à tout le monde, et j’assume pleinement ça. Je suis tellement content de l’avoir tourné, parce que j’ai tellement appris sur ce projet-là… T’sais, le jeu, être acteur, j’ai ça en moi. Ça me vient naturellement. Réaliser, ça ne me vient pas naturellement: c’est un art au sein duquel je suis en perpétuel apprentissage. Quand t’es pris pour raconter une histoire campée entre quatre murs, ostie que t’apprends des choses! J’ai appris à raconter en simplicité. J’ai appris à demeurer sobre à l’image, et précis dans le cadrage. C’est probablement le film sur lequel j’ai le plus appris, comme «élève en cinéma».

  • Aucun commentaire pour le moment.
  • Ajouter votre avis

    Abonnez-vous à notre newsletter