Rencontre avec une véritable star en son pays, pourtant pas forcément repéré chez nous comme un comédien québécois puisqu’il a mené sa carrière sur au moins deux pays. Toujours féru d’expériences aussi diverses que possibles, le jeune premier magnétique de C.R.A.Z.Y est devenu cet acteur épais et rassurant – mémoire d’éléphant sur physique avantageux – qui apaise chez Denis Côté ou fait lien chez les derniers humains des Affamés. Si le succès du à la diffusion de l’excellent film de Robin Aubert sur Netflix pouvait booster la carrière américaine de Marc-André Grondin comme le rappeler au bon souvenir des français, nous serions ravis de le voir plus souvent sur les grands écrans de l’hexagone. Dans l’attente, ce passionné nous livre un regard aigu sur le métier, toujours enthousiaste et plein d’humour au long de cet entretien. Une entrevue très représentative de son séjour au festival 48 images seconde de Florac, vécu par tous ici comme un grand bonheur, synonyme d’amour du cinéma bien plus que du glamour ou de la hype où se vautrent certains…
Tu es un véritable enfant de la balle. Tu apparais très jeune à la télévision et au cinéma dès 1991. Tu n’avais que sept ans… Autrement dit tu as grandi avec le cinéma.
Oui, avec la télévision surtout. Mais j’ai eu plusieurs expériences en cinéma assez jeune, notamment dans Les portes tournantes en 1988-89. Bon, c’était de la figuration ! Nelligan ( 1991 ) c’est pareil, c’est un petit rôle. Pourtant, je me souviens très bien des plateaux et des différences. Quand tu passes du soap à la télé et que tu te retrouves dans un film d’époque avec un grand déploiement, ça te marque, même si tu es très jeune.
Mais tu avais des parents proches du milieu du cinéma ?
Non ! Absolument pas… Mon père a toute sa vie été animateur de radio, à une époque où avec la télévision, c’était deux mondes complètement différents. Ma mère était mère au foyer. Parfois, mon père faisait des voix pour des publicités à la télé. Un jour où ma mère était occupée je ne sais où, il a du emmener mon frère en studio. Quelques semaines après avoir vu la diffusion de la pub à la télé, mon frère a commencé à faire une fixation et à vouloir passer à la télé, à casser les couilles à mes parents avec ça. Mon père a alors demandé à un collègue de travail s’il connaissait quelqu’un. On lui a appris qu’il y avait une agence, qu’il fallait envoyer des photos et tout ça. Donc un peu comme tout le monde, mon frère a commencé à tourner des pubs. Moi j’accompagnais ma mère et depuis l’âge d’un an, un an et demi, je suis donc sur des plateaux de tournage. Bien sûr, moi je voulais faire comme mon grand frère et un jour j’ai fini par passer une audition pour une publicité. J’étais très excité à l’idée de jouer.
En 2005, tu retrouves Jean-Marc Vallée avec qui tu avais tourné dès ses débuts dans le court-métrage dix ans auparavant, à une époque où tu avais finalement plus d’expérience que lui ( éclate de rire ) et là, c’est le succès phénoménal de C.R.A.Z.Y , planétaire même! Au Québec, c’est carrément devenu un film générationnel. Pour toi, c’est aussi la consécration par la profession. C’est facile à gérer un aussi gros coups d’accélérateur dans sa carrière, avec l’afflux de propositions qu’on imagine et une réelle popularité ?
C’est à dire que si j’étais enfant-acteur, je n’étais pas enfant-vedette. J’ai toujours travaillé, je n’ai jamais arrêté. Par contre, je n’ai pas fait ces gros films pour enfants, ni ces films jeunesse qui auraient pu me propulser au rang de vedette, ce qui fait que j’ai aussi appris en regardant les autres. J’ai vu de jeunes acteurs disparaître malgré le succès, juste parce que quand tu passes de cinq à huit-neuf ans, tu n’es plus le même enfant. Tu arrives à douze treize quatorze ans, là aussi on n’est plus le même. Ni à seize, ni à vingt ans ! J’ai vite appris à ne pas prendre le métier pour acquis, pas plus que le succès. J’ai vu que c’était quelque chose d’extrêmement éphémère. Des jeunes qui vivaient la grosse vie et étaient en faillite personnelle à quinze ans…
Tu n’es donc pas Daniel Radcliffe…
C’est ça ! Je n’ai pas le même cachet non plus ! ( rire ) Je repense à ces jeunes qui prenaient la grosse tête et se faisaient ensuite écarter des plateaux parce qu’ils étaient désagréables. Donc j’ai beaucoup appris de toutes leurs expériences… Après, personne ne se doutait qu’on allait avoir un succès aussi énorme avec C.R.A.Z.Y. On savait que le film marcherait bien au Québec parce qu’on était conscients de faire quelque chose de différent mais personne n’avait rêvé une carrière internationale comme celle-là. Quand c’est arrivé, c’était un vrai cirque. Alors, je me suis mis beaucoup en retrait. Certes, on m’offrait plein de choses à la télévision, de faire des émissions ou des cartes blanches à la radio, d’être chroniqueur télé… Moi je ne comprenais pas pourquoi on m’offrait tous ces trucs tout à coup, donc j’ai préféré dire non à plein de choses. Je savais bien qu’on attendait que je fasse un autre succès dans la foulée. Et à la place, j’ai décidé de faire un film à très petit budget, La Belle bête ( 2006 )…
Un film plus underground…
Oui je voulais faire un gros « fuck you ! » à tout ce qu’on attendait de moi, montrer que je n’allais pas être l’acteur qu’ils pensaient que j’allais devenir. Je voulais juste continuer mon chemin et faire mes trucs, des choses différentes aussi. La belle bête a évidemment eu zéro succès, quelque chose comme 17000 dollars au box-office, mais ça a été une super belle expérience. J’y ai rencontré des gens exceptionnels.
Dans ce film là, tu étais devenu blond et au début du film, on te voit te faire câliner par Carole Laure… Alors je ne sais pas s’il existe un star system au Québec ( rires ), mais s’il y en a un, nul doute que Carole Laure trône tout en haut de l’affiche. C’était comment de tourner avec elle ?
Pour tout dire, je suis rarement impressionné. Je vois les gens comme étant des gens. Je suis parfois heureux de tourner avec quelqu’un de très expérimenté, ou que j’admire quand même mais je ne suis pas un stars tracker, je ne suis pas timide à cause de la carrière d’un acteur ou d’une actrice. Par contre, celui-ci est un film qui s’est avéré plus accessible que ce que je croyais et qui reste en même temps difficile à regarder. Je trouvais ça drôle de passer d’une chronique familiale qui touche tout le monde à un film où je joue un type un peu attardé côté communication, avec un retard de développement, et qui entretient une relation incestueuse avec sa mère. Dans la première version du scénario, le personnage de Carole Laure me donnait le sein. Ça, Carole n’a pas voulu! ( rire ) Donc ils ont coupé la scène…
Déjà qu’on l’avait déjà trempée dans le chocolat, la pauvre…
Oui il y avait eu le chocolat… Après quand je repense à La belle bête, je me dis que le film serait sans doute plus connu si elle m’avait donné le sein ! ( rire )
On retrouve les thèmes de l’émancipation, de la préférence sexuelle. Dans C.R.A.Z.Y, tu avais conscience en le tournant d’incarner un personnage qui allait questionner la société ?
Ce qui est drôle, c’est que je moi je ne fais jamais de rapprochements entre les films, à part peut-être entre C.R.A.Z.Y et le Premier jour du reste de ta vie ( 2008 ) qui sont deux chroniques familiales. Mais ce sont les gens qui le font pour moi ! Des liens qui me surprennent… L’attirance sexuelle, l’homosexualité versus l’inceste dans l’autre film. Il y a toujours une connotation sexuelle et une recherche auxquelles je n’avais pas du tout pensé. Je me rappelle juste que vers la fin du tournage de C.R.A.Z.Y, on était au Maroc, en buvant une bière avec Michel Côté, il m’avait dit « toi tu vas voir, ta vie va changer quand ce film là va sortir. Tu ne pourras plus rien jouer après, parce que tu vas avoir tout joué dans ce film là ». Je ne m’en étais pas rendu compte mais c’est sans doute la chose la plus sage que j’aie jamais entendu sortir de la bouche de Michel ! ( rire ) Il avait totalement raison. Dans C.R.A.Z.Y, le personnage est tellement étalé sur des années, il vit tant de choses, passe par tant de trucs… Tu parles de sexualité ? Je l’ai vécu. Du passage de l’adolescence à l’âge adulte ? Je l’ai vécu. D’avoir une connotation musicale… Tout ce que je peux faire par la suite sera toujours comparé à ça parce que le personnage de Zachary touche à tout. C’est d’ailleurs aussi pour ça qu’il touche tous les gens, il ratisse très large ! Bon, c’est vrai qu’il y a une recherche d’identité sexuelle dans La belle bête mais c’est beaucoup plus tordu ! ( il se souvient et rigole ) Il y a quand même ma sœur qui me masturbe dans le bain et finit par me brûler le visage au fer à friser pour me libérer de l’emprise incestueuse de ma mère ! (rires ) C’est un peu dramatique quand même… C’est surprenant que le film ne soit pas allé à Cannes. C’est le genre de chronique dramatique que Cannes aime bien ! ( rire )
Je ne pense pas que Karim Hussain jouisse d’un statut particulièrement important au sein du cinéma québécois, sauf peut-être dans l’underground ?
Non plus maintenant, parce que Karim fait presque uniquement de la direction photo. Il gagne bien sa vie comme ça.
Donc tu retrouves en effet le registre intime familial et adolescent avec le personnage de Raf, en 2008 dans Le premier jour du reste de ta vie. C’est ton premier film français ?
Oui, j’avais juste fait un téléfilm avant.
Pour ce personnage, tu nous sortais des mimiques d’anthologie… Raf, c’est une sorte d’ado attardé mais qui évolue dans le film, qui acquiert le sens des responsabilité et un peu de gravité au fur et à mesure du temps…
C’est une drôle d’histoire celui-là parce que Rémi ( Bezançon ) m’a approché à la base pour jouer le rôle de Pio Marmai. Un autre acteur avait déjà été casté pour le personnage de Raphaël. Et puis j’ai vu son film précédent avec Marion Cotillard ( Ma vie en l’air, 2005 ), j’ai lu le scénario et je l’ai rencontré le lendemain. Je lui ai dit « écoute, j’ai super envie de travailler avec toi, t’es super cool, ton film a l’air super beau mais je ne peux pas jouer le grand frère de la famille. Je suis trop jeune… »
Là tu avais à peu près 25 ans ?
22-23… Bref je ne peux pas jouer le grand frère d’un acteur dont j’avais le même âge. Il m’avait dit « je trouve ça très honnête de ta part » « ça me fait vraiment chier de dire ça parce que je suis en train de te dire de ne pas m’engager mais je pense que ça aurait l’air ridicule ». Et puis bon, pas de nouvelles pendant deux mois, alors je retourne à Montréal. Il m’appelle dans la journée et me demande si je veux jouer Raphaël. Son acteur était parti sur un autre projet. Du coup, je ne m’attendais pas du tout non plus à jouer ce personnage, mais ça a été une TRÈS belle expérience où j’ai rencontré des gens magnifiques sur ce plateau…
Alors, Zabou, Jacques Gamblin…
… Pio Marmai, que j’aime autant comme humain que comme acteur. C’est un super acteur, hyper charismatique ! Déborah François…
Quelles différences de travail t’ont marqué par rapport au Québec ?
Je trouvais ça long en fait ! Les journées sont plus courtes en France, alors il y a plus de jours de tournage.
Au Québec, on travaille plus intensément ?
Déjà il y a moins de fric. Donc moins de jours de tournage. En France, on fait 7-8 heures quand on en fait 10-12 au Québec. Ce qui veut dire que si on tourne C.R.A.Z.Y en 35 jours, il en faut 60 pour Le premier jour du reste de ta vie !
À t’entendre, ce n’est pas forcément un confort…
Si, sur certains films. Mais sur d’autres c’est juste du gaspillage de temps. Après la manière de tourner de Rémi était très spéciale. Chaque acteur avait sa journée. C’était un film choral et le tournage était organisé en journées. Donc pendant un mois et demi, j’étais figurant principal. ( rires ) Je n’avais presque pas de répliques ou juste une phrase. Ou des fois j’étais simplement assis dans le décor puisque je jouais un ado attardé qui des fois ne dit pas grand-chose. Après, je devenais le lead pendant deux semaines où on tournait ma journée. Ce qui fait qu’on a tous eu le temps de se rencontrer, sans stress et de devenir potes donc ça a été un beau tournage. Dans le sud de la France en plus, c’est génial !
Dans la comédie, tu vas tourner entre autres avec Didier Bourdon aux côtés de qui tu deviens un commercial en articles de pompes funèbres dans Bouquet final ( 2008 ). A l’époque, on te proposait plutôt des scénarios de comédies ?
Après C.R.A.Z.Y, on m’offrait juste du drame et moi j’essayais de faire autre chose. En fait, on ne m’offrait que des rôles d’homosexuel des années 70 ! ( rires ) C’est vrai, c’est même la première offre que j’ai eu en provenance de France ! Voyons… Donc on ne m’offrait que des trucs dramatiques. Mais moi j’aime bien goûter à des choses différentes, sortir de ma zone de confort et voir si j’aime ça… C’était Sylvie Pialat que j’ai beaucoup aimé qui produisait Bouquet final et j’avais envie de travailler avec Didier Bourdon. C’est un mec vraiment très intéressant. Il a travaillé en équipe toute sa vie, donc il est très à l’écoute des autres, très généreux avec son temps, professionnellement… Le film a été un peu spécial à tourner mais j’ai beaucoup aimé cette rencontre. Quand même, c’est fou! Moi le petit gars de l’est de Montréal, né dans un quartier plutôt en bas de la classe moyenne. Qui n’ai appris à parler anglais qu’à 18 ans ! Je n’avais jamais pensé travailler en France de ma vie, ni jamais fait d’accent français et là je me retrouve du jour au lendemain à tourner avec Didier Bourdon dans les beaux quartiers vers la tour Eiffel. Je gagne un césar, je tourne avec Zabou Breitman, Gamblin… Bon, avec le recul des années, le pitch comique sur les pompes funèbres, je trouve ça bizarre… ( rire ) Mais en même temps, c’est très noir ! À cette époque, j’ai refusé des choses que j’aurais faites deux ans plus tard. Et inversement. Mais j’avais besoin de ça à ce moment là de ma vie. Ça m’intéressait et c’était de belles rencontres.
Après tu vas rejoindre un film fleuve de Soderbergh pour un petit rôle sur Che ( 2009 ) mais non des moindres, celui d’une icône, le philosophe gauchiste aussi connu que controversé, Régis Debray. Comment voyais-tu ce personnage et l’engagement politique de l’époque, ça représente quoi pour toi ?
Ayant été un jeune anarchiste très à gauche – je le suis encore ! Mais à l’adolescence c’était plus évident ( rire ) -, jouer dans un film sur la vie du Che, c’était exceptionnel. Mais bon, là ça s’est passé tellement rapidement… Encore une fois, un autre devait jouer le rôle et ne le pouvait plus. Le directeur de Casting qui était aussi notre coach pour les dialectes, les accents et tout ça – parce qu’il y avait un grand nombre d’acteurs venus de tous les pays du monde latin -, était un grand fan de C.R.A.Z.Y. Il nous a donc appelé. J’ai lu un texte en Français, un en espagnol et 24 heures plus tard, j’étais dans un avion Montréal-Paris, Paris-Madrid.
À cette époque là, tu parles anglais. Tu parlais espagnol aussi ?
Dans le film, je parle juste espagnol alors que je ne le parle pas dans la vie. Donc j’étudie mon texte dans l’avion, bien écrasé dans mon fauteuil au deuxième étage du boeing 747, en première classe – la seule fois de ma vie où ça m’est arrivé. Classe ! Je n’ai quasiment pas dormi ; à peine le temps de déposer la valise à l’hôtel qu’ils m’amènent direct sur le plateau. Le coach me dit « Je suis tellement content que tu sois là… Premièrement : bienvenue, deuxièmement : il faut aller aux essayages costumes. J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle : la bonne, on est prêts pour toi dans une heure. Après les essayages, tu as le temps de prendre un café. Mauvaise nouvelle : on a changé la scène et tout le texte » Mais moi je ne parle pas espagnol, je ne peux pas changer le texte comme ça ! Donc j’ai eu la nouvelle version et j’ai essayé d’apprendre mes répliques. D’ailleurs, je ne le savais pas si mal que ça. Mais eux, ils avaient déjà tourné la première partie, ça veut dire qu’ils tournaient ensemble depuis des mois ! Cette scène, c’était la dernière de la journée, en plein milieu des bois. Tout le monde voulait rentrer se coucher. Et là… j’ai flippé ! C’était une petite scène d’une page et demie. Arrivé sur le plateau, on était quatre-cinq, dont Benicio del Toro, tout ça… Deux caméras. Les deux premières RED, les prototypes puisque c’était le premier film tourné avec elles. Ils étaient même obligés de mettre des sacs de glaçons sur les caméras parce qu’elles surchauffaient toujours… Et c’est là que je me suis rendu compte que c’est bien beau d’apprendre ses répliques mais si tu ne comprends pas ce que les autres disent, tu ne peux pas les dire ! ( rire ) Comme je ne savais pas quand parler, j’étais hyper nerveux. Pourtant, j’en ai vu des mecs sur les plateaux qui tremblent. À chaque fois je leur disais « Hey on se calme ! C’est un film, il n’y a pas de stress ». Moi, je n’ai jamais été stressé, je suis né sur des plateaux ! Et là, c’est la seule fois de ma vie où j’ai été dans cet état, aussi nerveux… Donc on a fait la scène et Steven Soderbergh est venu me voir « Ne stresse pas ! Tu sais j’ai tout ce qu’il me faut, je vais devoir couper au montage. Va te coucher pour prendre ton jet lag et puis on va changer le texte pour la prochaine fois, parce que tu ne parles pas espagnol et moi non plus ! » ( rire ) Finalement, moi qui devait passer deux ou trois jours là-bas, j’y suis resté deux semaines à faire de la figuration parce qu’il avait oublié que je devais être présent dans plein de décors. J’y ai rencontré plein de gens. Soderbergh est un type surprenant !
Finalement, que tu ne comprennes pas les répliques, ça éclaire le côté énigmatique de ton personnage dans le film…
Mais il n’a pas une si grande place dans le film. C’est drôle parce que dans la vraie histoire, Debray a joué un énorme rôle. Il y a beaucoup de conspirations autour de lui, plein de trucs… Dans le film, c’est très discret : deux scènes. Celle plus tard avec Fidel Castro qu’on a tourné à Porto Rico, un plan séquence qui s’est très bien passé. Je savais mon texte et ils ne l’ont pas changé. Mais ces deux semaines en Espagne, ça a vraiment été surprenant. Je n’avais jamais fait non plus de figuration comme ça. Il y avait des vedettes de plein de pays qui ne se connaissaient pas du tout, habillées pareil. Il n’y avait pas vraiment de hiérarchie. On jouait aux cartes. Un jour, Soderbergh arrive et me dit « Tu joues encore de la musique ? » Il m’avait googlé un soir sans raison. C’est une belle personne pour une drôle d’expérience dans une langue que je ne parle pas du tout.
De fait, ce tournage ne t’a pas forcément amené beaucoup de propositions anglophones ou de projets américains…
( il réfléchit ) Non. La seule fois où j’ai tourné aux États-Unis, c’était sur Le caméléon ( Jean-Paul Salomé, 2010 ) ou alors dans le Canada anglais, même si souvent les gens pensent que je travaille aux États-Unis. ( soupir ) J’ai donc tourné avec des américains en Europe et avec des français aux États-Unis ou en Angleterre.
Tu appartiens à une génération biberonnée au cinéma de genre. Au Québec, Eric Tessier fait figure de défricheur en adaptant le grand auteur de polars, Patrick Sénécal. C’était facile d’interpréter la victime d’une famille de psychopathes dans 5150 rue des ormes ( 2009 ) ?
Non, ça a été très difficile ! C’était un tournage lourd à faire. D’abord, on tournait en hiver en studio. On arrivait le matin quand il faisait encore noir et même chose quand on en sortait. J’étais continuellement frappé ou en train de crier, c’est physiquement épuisant. J’ai aussi porté pendant deux semaines un plâtre sur la jambe. On me le mettait le matin, sur toute la jambe et je devais me déplacer avec des béquilles jusqu’au soir. C’était hyper chiant ! ( rire ) C’était mon premier tournage québécois à ne pas être sur pellicule. On n’était pas habitués ! Tout à coup, ça enlevait les codes normaux, le cérémonial des scènes : on avait le silence, on appelle le moteur… Donc là on pouvait tourner n’importe quand. On n’avait plus le respect de la prise, ni de la pellicule qui coûte cher. Ce n’était plus organique. Alors on tournait constamment…
Ça ajoutait de l’intranquillité ?
Ben oui, parce qu’à partir du moment où ça tourne, tout peut être utilisé. Si tu tournes la répétition, la répétition n’est plus une répétition ! Ça reste une prise, donc je vais me donner. Quant tu cries et que tu frappes et que la technique devient parfaite à la cinquième prise, toi ton énergie elle est partie. Donc ça a été difficile, très lourd. Sinon, moi j’ai toujours été fan de Patrick Sénécal et c’était aussi le même producteur que sur C.R.A.Z.Y ( Pierre Even ). J’avais la chance de retrouver Pierre sur un autre projet. Ça a été un gros défi physique. J’ai eu beaucoup de bleus, de douleurs, de rhumatismes… Mais c’est un film qui a beaucoup voyagé. 51-50, c’est parce que c’est le code de la police lorsqu’il y a un cas de folie et ormes, parce que c’est vraiment « elms way », un clin d’œil au cinéma de genre américain.
Est-ce que ça ne t’a pas un peu découragé de renouveler l’expérience dans cette veine là ?
Non, c’est simplement qu’il y a rarement des projets comme celui-la. Robin Aubert le dit souvent : les gens sont très réticents à l’encontre du cinéma de genre parce que si ça n’est pas parfaitement bien fait, on tombe dans la série B. C’est cheap ou mauvais. Sur 5150, je n’étais pas sur de la fin. Ce n’était ni évident à tourner, ni à accepter. Pour le cinéma de genre, tu marches sur un fil. Pour embarquer dans un projet, il faut que tous les éléments soient là : le scénario, le réalisateur… Donc beaucoup de choses en même temps. Aussi, je ne pense pas avoir l’opportunité de retoucher à ça avant plusieurs années.
Tu continues d’enchaîner les tournages en France, notamment le très beau Bus palladium ( 2010 ) qui nous fait vivre les péripéties d’un groupe de rock émergent. Là tu es à l’affiche avec Arthur Dupont pour une quasi fratrie musicale qui sera séparée par la dope, les tournées ( Marc-André cite « Yoko Ono ! » ) , les histoires de cœur avec une groupie incendiaire. Comment s’est passée la collaboration avec Arthur Dupont ?
Super bien ! En fait, j’ai fait trois films d’affilée : 5150 rue des ormes et je suis parti en Louisiane une fois terminé, pour tourner Le caméléon. Pendant ce tournage, j’avais un cours de guitare hebdomadaire sur Skype pour préparer Bus palladium. Je précise que je suis batteur et non guitariste ! Dès le lendemain de la fin du tournage du Caméléon, je prenais l’avion pour Paris pour débuter la préparation de Bus palladium. On avait environ deux ou trois semaines de studio pour répéter chaque jour les chansons. Arthur lui était pianiste mais pas chanteur. Il a de la voix mais bon… Jules Pélissier, c’est un guitariste qui jouait de la basse. Ce qui veut dire que tout le monde changeait un peu d’instrument !
Et tu avais même déjà joué un guitariste sans guitare pour Le premier jour du reste de ta vie…
Encore un lien auquel je n’avais pas pensé ! Bus palladium a vraiment été un beau tournage. Un peu spécial car j’étais celui qui avait le plus d’expérience, le plus vieux. Et aussi, parce que j’étais fatigué de deux tournages sans break dans trois pays différents et à trois saisons différentes et même dans trois langues différentes : québécois, anglais, français de France. Bref j’étais un peu en retrait et ça collait bien au personnage. Tout le monde était très excité, sauf mon personnage qui est un peu plus sérieux. Il y a eu la sublime rencontre avec Christopher Thompson, toute l’équipe, tous les jeunes… Et puis je le répète souvent, mais si je pouvais miser tous mes jetons sur un jeune acteur et même ici, le plus jeune du groupe, ce serait François Civil qui depuis tourne beaucoup plus, je crois. Il est drôle, agréable à vivre sur un plateau et très talentueux. Il a un sens exceptionnel de la répartie. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup. En tant que membre de l’académie des Césars, je reçois des films et à chaque fois, je le vois passer dans un film. Yes ! On a fini Bus palladium en Espagne. J’aime bien les films qui se terminent au chaud ! ( rire )
Stéphane Lafleur disait que tu étais presque trop bon batteur. Donc pour Tu dors Nicole ( 2015 ), tu as repris la guitare…
Il y a eu plein de raisons pour laquelle je me suis retrouvé ici à la guitare dans ces deux films là. Dans celui de Christopher, il avait pensé à me donner le rôle du batteur mais il trouvait que le rapport au chanteur et à la foule n’était pas pareil. Étant donné que c’est sur la rivalité et l’amitié du chanteur et du guitariste, ça passait mieux à l’avant qu’à l’arrière. Pour Stéphane, je ne me souviens plus exactement pourquoi mais en tout cas, ce n’était pas simplement une question de talent, c’était juste trop évident d’être à la batterie et là-dessus j’étais d’accord avec lui. J’ai quand même eu la chance de composer les chansons avec Rémi qui avait composé la musique du groupe fictif. Sur la bande sonore, je joue la batterie comme je pensais que Francis allait la jouer et dans le film, Francis joue les tracks qu’on avait faits. C’est cool parce que j’ai pu faire un peu des deux.
Depuis, tu continues la guitare ?
Pas vraiment. Après Bus palladium, je devais bien avoir cinq ou six guitares à la maison. J’aime beaucoup collectionner les instruments, j’ai eu beaucoup de batteries dans ma vie. À un moment, je me suis rendu compte que j’avais plus de guitares que d’accords que je connaissais. En plus quand tu arrêtes, c’est très difficile de recommencer parce que ça fait très mal aux doigts, tu perds la corne. Je joue un petit peu de Ukulélé ( rire ) mais mon truc, ça reste la batterie !
Tu tournes entre autres dans Mike ( Lars Blumers, 2011 ), joli portrait de jeunes de province qui s’ennuient ferme dans l’est de la France. Entre les jeunes québécois et les jeunes français, c’est le même spleen, l’attente que quelque chose se passe ?
Oh ben oui… C’est les voitures trafiquées, le tuning , tout ça… Je pense que c’est pareil partout. Mais Mike est vraiment un film que j’adore. J’aime beaucoup le producteur, le réalisateur, la première assistante à la réalisation, qui était aussi première assistante sur Insoupçonnable ( Gabriel le Bomin, 2010 ), une fille que j’ai adorée dès notre rencontre. Quand j’ai fait Mike, ils n’avaient pas encore de premier assistant, j’ai donc suggéré Julie. Quand Jean-Marc Vallée est venu faire Café de Flore en France, pareil. Le chef op sur Insoupçonnable ? C’est lui aussi qui a fait Café de Flore, de même que la costumière de Bus palladium. J’aime beaucoup le talent, donc je parle beaucoup des gens. J’étais très excité à l’idée de pouvoir présenter tous ces gens qu’il ne connaissait pas à Jean-Marc. On est devenu des amis. Mais Mike, ça a été une très très belle rencontre. C’est aussi un film qui me ressemble et j’aime ce genre de cinéma, très cinéma indépendant américain ou comédie indie. Malheureusement, il n’a pas du tout eu de marketing. Il aurait pu marcher auprès des jeunes, mais il est totalement passé sous les radars. Comme j’ai eu un grand plaisir à le faire, ça reste un de mes films préférés. Et puis il surprend, ce n’est pas un humour typiquement français. Un peu de belge avec un petit côté californien, j’aime beaucoup !
L’année suivante, tu es le premier rôle d’un film hors norme dans l’hexagone : une grosse production en costumes, réalisée par un auteur plutôt indépendant mais ici produit par Luc Besson et d’après un monument de la littérature française, Victor Hugo. Très ambitieux visuellement, L’homme qui rit ( Jean-Pierre Améris, 2012 ) a été un gros échec commercial. Comment s’est passée la collaboration avec Christa Théret ?
J’étais très content de la retrouver après Mike, elle aussi. Et Gérard ( Depardieu ) aussi puisqu’on était déjà ensemble sur Bouquet final, qui était très motivé à l’idée de faire ce film… En fait, c’est tout ce que je déteste du cinéma. Ce n’est absolument pas le genre de films que j’aime voir. Je n’aime pas les films d’époque en perruques poudrées et talons hauts.
D’un autre côté, il y a pas mal de fantaisie dans ce film, plus que de fidélité historique…
Oui mais je n’aime pas vraiment les trucs classiques. Je n’ai jamais fait de théâtre non plus, à part un tout petit peu au lycée. Je ne suis pas à l’aise avec ça. J’aime plutôt le jeu introverti. Clint Eastwood dans un western. Je pleure plus quand lui retient un sanglot qu’avec quelqu’un qui chiale. Mais quand on t’offre L’homme qui rit avec un scénariste aussi exceptionnel ( Guillaume Laurant, collaborateur de Jean-Pierre Jeunet notamment ), c’est difficile de refuser. Il faut au moins avoir essayé ce type de films avant de dire non. Pour moi, celui-ci était ce qui se rapprochait le plus du théâtre. J’avais même des cours de mime à prendre, ce qui me paraissait absurde mais c’était un vrai défi. Je sortais aussi de L’affaire Dumont ( 2012 ) qui a probablement été la plus belle expérience en termes de direction d’acteur comme de prise de risques. Je suis donc arrivé remonté à bloc et heureusement, car ce film a été excessivement difficile à faire et même, pas très agréable. Un peu un chemin de croix, mais au final, je suis content d’avoir vécu ça. En fait, je ne regrette jamais rien, pas vraiment, parce que ça fait partie de mon parcours, c’est mon bagage. Ceci dit, je serais étonné de réembarquer dans un autre projet comme celui-là ! Mais je suis heureux d’y avoir goûté, un peu comme un enfant qui ne voulait pas manger ses brocolis. Si c’était à refaire, je le referai encore !
Retour au Québec donc pour un rôle difficile mais qui te vaut une nomination aux Jutras, Dumont, un homme accusé de viol et une affaire du même nom qui a défrayé la chronique. Daniel Grou ( @ Podz ) a semé de nombreuses zones d’ombre dans le film ou plutôt des flous qui vont avec la myopie de ton personnage. S’il semble innocent au pur plan judiciaire, il n’empêche qu’il y a peut-être des choses non réglées dans sa vie et qui ne nous sont pas révélées. Qu’en est-il de l’enfance traumatique de Dumont ?
Ah oui, il n’y a vraiment rien de blanc ni de noir dans ce film. Tu dis qu’il semble innocent aux yeux de la loi. C’est vrai, mais la loi ne l’a jamais innocenté complètement. Je n’ai pas l’impression qu’il a commis ce crime mais il y a quand même quelque chose d’étrange dans cette histoire. On ne sait pas tout, les gens cachent encore des choses…
Cette ambiguïté, Daniel Grou la traduit déjà dans sa mise en scène. Alors quelle était justement la direction de jeu ?
Ça a été difficile au début. Quand Podz m’a appelé pour ce rôle, j’ai été très surpris parce que je ne ressemblais pas du tout au mec. Il s’en foutait, « Je t’y ferai ressembler » ! Pourquoi pas ? C’est peut-être comme ça que ça devrait toujours être. Malheureusement, on veut souvent avoir d’abord le look, avant même le talent. Quand tu as envie de travailler avec quelqu’un, tu t’arranges pour le rendre ressemblant, c’est le genre de trucs qui m’inspirent. Mais je ne savais pas du tout ce que j’allais faire. J’ai visionné un grand nombre d’archives, toutes les interviews avec Michel Dumont. Je l’ai aussi rencontré. Finalement c’est quelqu’un qui ne ressemble à… personne ! Alors tu analyses et tu te dis que si tu te mets à jouer comme lui, ça va être énorme ! Et c’est tellement éloigné de moi… Sans en être conscient, je prenais un peu son ton de voix. Après, tout ça a une importance dans sa manière d’être et de comment il pouvait sonner devant la justice. Quand il raconte ses trucs, il a une voix un peu chantée, nasillarde, ça donne une teinte plus innocente. Il a aussi une façon de bouger quand il s’exprime, il termine ses phrases sur une mélodie un peu bizarre…
Je lui trouve un côté enfantin et tu joues aussi ramassé sur toi même, un jeu très intériorisé…
Oui et il y avait cette bouche qui me fascinait, j’avais l’impression qu’il était toujours en train de serrer les dents, un peu comme Grumpy cat mais des années avant… ( rire ) En tout cas, il avait cette moue aux lèvres. On a fait des tests costumes, maquillages… Mais la première journée de tournage ne s’est pas bien passée. Je ne savais pas ce que je faisais, ce n’était pas bon et Podz lui, ne savait pas encore comment me diriger. En buvant un coup à la fin de la première semaine, il m’a reparlé des premières prises « Je suis venu te voir et je t’ai dit plein de choses, puis je suis retourné derrière le combo et j’ai regardé ta tronche. Là, j’ai dit à ma scripte : « Ah merde j’aurais du fermer ma gueule ! ». Je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas trop t’en dire sinon tu étais moins bon. Par contre, si je te dis « plus » ou « moins », juste une note, presque rien, je réussis tout à coup à obtenir ce que je veux ». J’en étais conscient moi aussi. Ça m’a pris une bonne semaine pour trouver le personnage et pour que tous les deux, on assume qu’on allait faire un rôle de composition, ce qu’on ne fait absolument jamais au Québec ! On s’est dit « Ok, je ne sais pas si les gens vont le comprendre, mais nous on a beaucoup de plaisir à le faire ». Alors certaines personnes ont vraiment adoré cette proposition et d’autres, pas du tout compris, ils n’ont pas accroché. Pour moi, ça a probablement été la rencontre la plus importante que j’ai eu à l’âge adulte avec un metteur en scène. Quelqu’un qui me pousse à me dépasser, qui m’emmène dans des zones où je n’aurais pas pensé avoir le courage d’aller. En plus d’être un très bon ami avec qui je suis super à l’aise. Son regard m’aide beaucoup. C’est pareil sur le plateau avec les autres acteurs. Il vient te voir pour te parler et là tu as l’impression d’être à l’école face à un prof qui va te chicaner. Tu penses avoir fait un mauvais coup mais tu ne sais pas encore quoi ! Il te prend à l’écart et là « Oui j’ai besoin de te parler parce que c’est vraiment cool ce que tu fais – Ah putain t’es con ! » ( rires ) Il ne s’en rend pas compte mais c’est comme ça qu’il te garde toujours un peu fragile. Tu ne peux jamais te protéger complètement avec Podz. Je vais avoir la chance de retravailler avec lui à la fin de l’été. C’est à la fois très angoissant et très excitant…
En tant que cinéaste, il n’est pas encore assez reconnu au Québec…
En fait, c’est une grosse vedette au Québec. Il est très connu pour ce qu’il a fait à la télévision. Il a vraiment amené le cinéma à la télévision, bien avant que les américains ne le fassent. Il a commencé à filmer à la télé comme pour un film et, même si au contraire on lui a parfois reproché de tourner ses films comme des téléfilms, il tourne juste de la même façon : d’une façon cinématographique. Il a notamment fait la série Vikings ( 2015 ) et Cardinal ( 2017 ) avec lesquelles il a obtenu beaucoup de succès, mais pas encore autant au cinéma.
Enfin, on peut te voir à Florac dans Vic + Flo ont vu un ours ( 2013 ) de Denis Côté, un des auteurs les plus réputés du cinéma québécois. Là, tu interprètes un personnage plein d’amour, Guillaume, l’agent de probation d’une ancienne taularde. Quel souvenir gardes-tu de ce tournage face à Pierrette Robitaille et Romane Bohringer ?
Je suis un fan de Denis et je connais bien son cinéma. J’avais fait un mini rôle dans un moyen métrage qu’il avait fait pour un festival. C’est comme ça qu’on est devenus potes. J’étais flatté qu’il me demande de jouer Guillaume. À la lecture du scénario, je trouvais que c’était une belle histoire avec de beaux rôles… En fait, j’ai totalement sous-estimé ce rôle. Il m’est apparu un peu naturellement. Vu que je le connais bien, il était facile de rentrer dans cet univers là. Donc il ne me dirigeait presque pas car je savais déjà ce qu’il voulait. Pierrette arrivait avec un background comique et théâtral. Elle par contre ne connaissait pas du tout. Les deux devaient se découvrir et apprendre à travailler ensemble. Bizarrement, quand le film est sorti, mes proches ou ma famille me disaient « Tu es complètement différent dans celui là », alors que moi je n’en avais pas du tout l’impression ! Peut-être parce que là je portais le bouc… ( rire ) C’est comme ça : des fois tu fais des choses dont tu ne te rends pas compte et c’est perçu d’une façon différente. Tu vas faire une scène, tu vas tellement y croire que tu as l’impression d’être juste. Alors tu la regardes et finalement, ça ne marche pas du tout ! Et par contre des choses insignifiantes vont résonner chez le spectateur.
C’est un personnage qui nous fait du bien…
Les gens voient ce qu’ils veulent mais c’est ça… Il crée des cassures pour que l’histoire et le film ne soient pas trop lourds.
Denis Côté joue sur plusieurs niveaux en même temps avec déjà ce décalage…
Guillaume représente aussi le regard que le public porte sur ces deux femmes. Il est aussi voyeur que le public peut l’être.
Et puis de nouveau, tu travailles plutôt au Québec, où tu alternes les séries télévisées et les longs-métrages pour le cinéma. En plus de la notoriété publique, du lien très direct avec un public populaire qui ne se déplace pas forcément dans les salles, qu’est-ce que t’apporte le fait de travailler à la télévision ?
Ça me permet déjà de développer un personnage pendant dix heures, ou même vingt heures s’il y a plus d’une saison. Le rythme de travail est différent. C’est un gros défi. Spotless ( 2015 ) a été difficile à faire avec un rythme soutenu pendant 115 jours. À côté de ça, un film c’est comme un sprint. Et bien la télévision, c’est un genre de marathon en sprint ! ( rire ) J’aime la télé quand elle est cinématographique, mais je ne suis pas vendu à un médium plus qu’à l’autre. Il y a des projets qui m‘intéressent et les réalisateurs ont une grande importance. Il y a quelques mois, on m’a proposé un projet. J’ai lu le truc et trouvé ça intéressant. J’ai vu qui réalisait et là du coup, ça ne m’intéressait plus. Ça prend une autre dimension et je ne pense pas que ça va ressembler à ça. Quand j’ai lu le scénario de L’imposteur ( 2016 ), une série que j’ai tournée à Montréal, j’ai trouvé les quatre premiers épisodes géniaux. Mais avant de me décider, il fallait que je rencontre le réalisateur que je ne connaissais pas. Là encore ça a été une rencontre surprenante. Moi j’avais imaginé ça à Montréal, avec plein de couleurs. Et lui avait imaginé exactement la même chose. Et ça a continué comme ça sur une durée de deux ans. J’arrivais le matin et j’avais coupé deux lignes ? Il avait coupé les mêmes dans son texte ! C’est vraiment ce qu’on appelle une bromance professionnelle ! Ce que j’aime avec la télévision, c’est que tu es très proche du public. Le matin, tu sens la différence. Les gens sont très à l’aise pour venir te voir. Moi je viens d’un cinéma plus dramatique où les gens sont trop mal à l’aise pour m’en parler. Alors qu’avec la télévision, ils viennent te voir, même à l’épicerie ! « Ah t’as le don de te mettre dans la merde toi ! » ( rires ). Ils ont l’impression que tu fais partie de la famille parce que tu étais chez eux, dans leur salon. Je trouve ça beau.
À Florac, les spectateurs peuvent te voir encore dans Les affamés ( 2017 ), le nouveau film de Robin Aubert. Ici la densité de jeu d’un homme plus mur, plus rassurant qui se bat pour la survie dans un monde post apocalyptique, est tempérée par l’humour de blagues douteuses et un peu surréalistes vu le contexte…( rires ) J’ai d’ailleurs pu constater au festival Itinérances d’Alès que les spectateurs étaient plutôt hilares.
C’est surprenant parce que je ne m’attendais pas à ça. En lisant le scénario, je me demandais comment j’allais pouvoir raconter ces blagues là sans que ce soit trop mauvais. En fait, c’est le contexte qui rend ça beaucoup plus drôle. La blague en elle-même… Je ne sais pas si j’ai joué de façon plus mature ou si je suis simplement un peu tanné, tanné dans le sens du cuir. Usé par plusieurs mois de survie… Il y a une noirceur qui vient parce que tu perds des gens. Il s’agit plus de ça que d’une maturité sociale. Cette lourdeur intérieure contraste avec l‘humour propre au personnage et son constant besoin de légèreté dans les moments difficiles.
Pour ce qui est du tournage, chacun était enfermé avec sa peur ou Robin Aubert installait-il une ambiance de travail décontractée ?
Pour avoir rencontré Robin, tu peux le dire… ( rires ) Sur un plateau, c’est un vrai gamin ! Moi, il me faisait beaucoup de blagues, me déconcentrait en me faisant rire au moment où on disait « Action ! ». On a pu voir au montage que toutes les prises commençaient par 5 ou 10 secondes où je tentais de reprendre mon sérieux. Non, ça a été super agréable. Ce n’était pas un film confortable. On n’avait pas beaucoup de budget. On tournait en plein milieu des champs, sans loges ni quoi que ce soit. On n’avait pas les moyens de déplacer une base mobile et puis ils étaient tout le temps pris par le paysage visuel. Et dans la forêt, pas question d’emmener quoi que ce soit. On partait en camping le matin et on rentrait juste le soir. Ces conditions jouaient dans la fatigue, les heures passées debout, le mal de dos mais comme le personnage vit la même chose… Il y a aussi une dynamique entre acteurs et actrices qui s’installe naturellement, où Micheline Lanctôt était un peu la cheffe de tout ça. Elle raconte des histoires, elle parle beaucoup. Monia ( Chokri ) se posait des questions sur son prochain film. Moi j’étais crevé par la première saison d’Imposteur qui venait de se terminer et en plus j’avais arrêté de fumer deux semaines auparavant. Tout ça jouait et rendait plus intéressant ce qui se passait. C’était un drôle de vivarium mais qui a donné un très bon résultat à la fin.
Tu as des souvenirs d’un personnage qui a nécessité plus de temps de préparation ou qui ne permettait pas de déconner avant la prise parce qu’il fait plus s’immerger ?
Non, je suis assez comme ça tout le temps ! Sur certaines scènes, il faut parfois se protéger un peu pour aller chercher une émotion. Par exemple, s’il faut que je pleure, là je m’isole un peu plus mais sinon, je dédramatise beaucoup ce qui se passe. Sur L’homme qui rit où il y avait énormément de texte, j’étais souvent en train de le relire. Il y a avait des monologues de plusieurs pages ! L’affaire Dumont, ce n’était pas évident parce que le vrai Michel Dumont et sa femme étaient là pendant la moitié, si ce n’est les trois quarts du tournage. À un moment, on a demandé à la production qu’ils ne soient plus sur le plateau parce que c’était super gênant, vu qu’on jouait des événements ultra lourds et traumatisants de leur existence. Mais toi tu es au travail, tu ne peux pas rester dans cet état là. Une journée m’a marqué : on tournait un des plans les plus lourds de L’affaire Dumont, un plan au steadicam qui rentre dans l’appartement quand Michel Dumont vient de sortir de prison. Il est dans son salon à côté d’une banderole « Bienvenue papa ». Là tu entres dans le corridor et tu découvres Michel qui pleure à chaudes larmes parce qu’il vient d’apprendre que son fils a été violé pendant qu’il était en prison, bref un moment hyper lourd ! Évidemment, moi je déconne entre les prises et à un moment où je fais une blague et où on en riait, je me suis retourné et j’ai vu Michel regarder le décor. Il était chamboulé parce que ça lui rappelait plein de souvenirs. Lui il a vécu ça ! ( il cherche ses mots ) … On s’est donc mis à faire un peu plus attention parce qu’on s’est rendu compte que, et bien qu’on ne fasse pas de blagues sur Michel ou sur ce qui est arrivé, il fallait respecter l’environnement et ce qu’il était en train de vivre. Sinon le reste du temps, on a plutôt tendance à faire des blagues tout le temps. C’est pour ça que je me suis très très bien entendu avec Robin ! ( Rire )
Il y a un personnage où un projet pour lequel tu serais prêt à tout pour faire ce film ?
J’ai toujours eu envie de faire un western. J’aime beaucoup monter à cheval. Bon après, je n’ai pas non plus envie de faire un western qui ressemble à 12000 autres westerns ! C’est un peu pareil qu’avec les films historiques, ils se ressemblent tous… Il faudrait trouver un twist ou quelque chose… Dans La belle bête, je montais un peu à cheval, j’aime beaucoup ça. Mais sinon, il y a beaucoup de choses que j’aimerais faire dans la vie. J’ai beaucoup de rôles différents. C’est malheureux à dire mais, heureusement je suis un acteur masculin. Parce que généralement, les hommes trouvent leurs plus beaux rôles entre 35 et 55 ans, alors que ce n’est pas du tout le cas pour les femmes. On préfère encore engager une fille de trente ans pour jouer la compagne d’un type de cinquante, plutôt que d’engager une quinquagénaire et lui donner un beau rôle. Mais enfin, ça commence à changer un peu. On essaie de rendre les rôles féminins plus intéressants, plus présents, comme elles le sont dans la vie de tous les jours. En tout cas pour ma part, je crois que le meilleur est encore à venir !
Remerciements : Marc-André Grondin, Festival 48 images seconde : Guillaume Sapin, Caroline Radigois, Jason Burnham, et Jimmy Grandadam ( association la Nouvelle dimension ). Photos du festival 48 images seconde 2018 : Eric Vautrey. Moyens techniques : Radio Bartas