Alexandre Castonguay au festival Vues du Québec de Florac
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Alexandre Castonguay : « C’est qui ce vrai personnage ? » : Pour un théâtre de rencontres

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Quand il a débarqué à Florac, nous nous avions l’impression de recevoir une star. Nous ne nous rendions pas compte que ses performances chez François Delisle ou Éric Morin n’avaient pas forcément mis le Québec à genoux. Certes, le héros de Ca$h Nexu$ est un comédien à fleur de peau, mais il est aussi un loup d’Abitibi épris de liberté, amoureux de sa meute, de sa ville et comme son complice Dominic Leclerc, de sa région. Aussi la rencontre avec les lozériens, par le biais des films mais aussi du jeu théâtral comme des simples échanges et autres verres partagés, s’est déroulée sous les meilleurs auspices. Dans cet exercice, Alexandre s’est souvent oublié et a traversé le festival Vues du Québec comme un vent frais… Retour trop longtemps différé sur le parcours d’un comédien militant.

entrevue avec Pierre Audebert  réalisée au festival Vues du Québec de Florac en avril 2023

 

 

Tu es originaire et restes très attaché à l’Abitibi au point que ta filmographie témoigne de ce choix de carrière. Comment s’est passée la rencontre avec Dan Bigras et ce premier rôle dans La rage de l’ange (2006). Ce rôle t’a t-il écarté de ta région?

Non, j’étais chez moi et j’ai reçu cette demande d’audition là. Je suis parti pour la faire et j’ai fait les 700 kilomètres. (rire) J’ai auditionné et je suis rentré chez moi. J’ai fait ce qu’ils appellent le « Call back », on n’était plus que deux alors je suis retourné à Montréal et je l’ai eu !

À ce moment là, toi tu étais déjà comédien ?

Oui, je sortais de l’école depuis deux ans. Je ne voulais pas faire ce métier, je voulais juste jouer et à l’école de théâtre j’étais bien. Quand il a été temps d’apprendre à faire nos photos de casting, les techniques d’audition, le doublage, jouer devant une caméra, tout ça c’était des cours qui ne m’intéressaient pas parce que ça voulait dire « métier ». Et j’avais pas envie d’aller faire le « métier » avec tout ce que ce mot implique. Je voulais jouer, c’est tout. Et puis je n’étais pas fait pour vivre à Montréal avec tout ce que ça implique, se montrer, de vivre aussi le fait que ton ami.e travaille et pas toi… J’étais trop sensible pour ça. Quand je suis allé faire cette école de théâtre, j’étais vraiment déraciné de ma région, j’ai souffert d’être ailleurs ce qui fait que je suis retourné chez moi et comme je dis toujours, je suis retourné vivre avec ma grand-mère. À Rouyn-Noranda, j’ai été serveur, je suis tombé en amour, j’ai fait un projet de théâtre avec un ami, Antoine Bertrand, un comédien québécois que vous connaissez peut-être, un grand gros qui joue même ici car il a une carrière en France. Après ça est donc venu ce rôle dans La rage de l’ange. Et puis après il y a un grand trou !

Oui c’est vrai… Par la suite, tu tournes avec d’autres artistes locaux tout aussi attachés à leur territoire comme Éric Morin. Opasatika, c’est un peu le phantasme de l’homme québécois de rencontrer une belle étrangère et d’aller se rouler dans la neige. On dirait presque du Gilles Carle.

Oui, c’est exactement ça, avec les caméras de Gilles Carle qui sont amoureuses des femmes comme des hommes. La caméra comme œil de la beauté.

Ici ton rôle est quasiment un rôle de jeune premier.

Oui. Et ça c’était fantastique parce qu’Éric avait écrit six lignes sur une feuille de cartable et pas de fin ! Je pense que ce gars, c’est au son qu’il a trouvé la fin. C’était donc quelque chose de très organique où on se sentait tous très impliqués. C’était une belle équipe! Tout le monde pouvait apporter quelque chose.

La comédienne était-elle québécoise ?

Oui, elle a même été doublée après. (rire)

C’est à ce moment là que naît le projet de Chasse au Godard d’Abbittibbi ? C’était déjà dans les tiroirs ?

Oui, c’est un peu comme si Opasatica était un film essai pour montrer une direction artistique pour aller ensuite en recherche de financements. Chasse au Godard, ça a vraiment été épique comme projet. C’était toute une communauté qui était rassemblée. Vivant à Rouyn-Noranda, j’y ai aussi participé. Des scènes sont même tournées dans mon appartement.

On retrouve d’ailleurs un côté Nouvelle Vague, je pense en particulier à certaines scènes du Chat dans le sac avec le couple que forment Michel et Marie. Ce qui est intéressant c’est que ton personnage prend le récit à contre-pied et effectue un retour sur lui-même. Est-ce ta première rencontre avec Miron ?

Non. Pour l’anecdote, j’arrive de la Marche à l’amour, c’était la dernière journée. Je me rase et là j’entends quelqu’un monter l’escalier chez moi. Donc avec Dominic Leclerc on arrête tout et c’est Éric qui vient m’annoncer qu’on a les sous pour faire Chasse au Godard.

Le poème n’était pas encore dans le scénario à l’époque ?

Non. Ce qui est arrivé, c’est que dans le scénario, mon père meurt. D’ailleurs, ces scènes des funérailles de mon père ont été tournées. Le personnage avait aussi toute une scène où j’apprenais la mort de mon père et la personne qui était supposée jouer le personnage, un type du cru, un non-acteur, s’est fracturé la hanche et comme on était au bout de nos moyens financiers et du calendrier, à la dernière seconde Éric a opté pour le poème dans le film. Ça a donc été un compromis.

On comprend pourquoi tu es aussi à l’aise avec le poème parce que ce passage constitue un peu ton morceau de bravoure dans le film. L’itinéraire du personnage est intéressant, comment il plonge dans le militantisme local plutôt que de partir dans le délire cinéma.

Dans le scénario, c’est en réaction contre son père anglophone et riche, qui a travaillé pour la fonderie. Mais là on le prend là où il en est, sans antécédents psychologiques.

À la limite on a presque plus l’impression que c’est en réaction à la séparation avec Marie, qui va partir avec le personnage joué par Martin Dubreuil dans une autre direction, et là, il y a un choix politique qui se fait et qui est assez représentatif de l’époque pour beaucoup de gens.

Oui.

Curieusement, ça ne t’a pas ouvert de portes de jouer avec des non abitibiens comme Martin Dubreuil et Sophie Desmaret, ça ne t’a pas donné envie d’aller faire d’autres projets ailleurs avec eux.

Je n’ai pas vraiment de réponse dans le sens où oui, les relations ouvrent des portes. En même temps, ça ne veut pas dire que pour autant ça va marcher. Certes, d’un point de vue cinématographie, ça pourrait me nuire de vivre en Abitibi-Témiscamingue. Mon choix c’est de vivre là, pour la qualité de vie. Comme ici à Florac où vous avez une qualité de vie. Le coût des appartements, les services, la communauté… Je ne vis pas dans ma petite tour d’ivoire. J’ai des amis qui travaillent à la mine, dans le milieu forestier. Je suis donc très enraciné dans le réel socio-économique de ma région et je préfère ça que n’avoir que des amitiés reliées au milieu artistique. D’ailleurs au niveau artistique, mes amis ne sont pas comédiens. Ce sont plutôt des artistes visuels, des musiciens, performers ou cinéastes. C’est le médium le plus actif en Abitibi-Témiscamingue et ça amène plein d’avantages d’être bien implanté au niveau socio-économique et d’avoir des amis professionnels dans d’autres médiums que le mien. Donc je joue peu, (rire) mais j’ai une richesse différente, qui vient d’ailleurs.

Il pleuvait des oiseaux (Dominic Leclerc)

Dans un reportage de Dominique Leclerc en ligne sur son blog autour d’Il pleuvait des oiseaux, tu pars faire une lecture du livre en milieu rural. On te voit avec ta collègue devant à peu près cinq personnes dans la salle. Il y a là une sorte de luxe d’avoir un grand acteur pour dire un texte dans un endroit perdu et j’ai été aussi étonné par le rapport de proximité que vous aviez là avec le public, cette immédiateté…

Je t’enverrai un livre que je viens d’écrire et qui est en réimpression, ça s’appelle J’attends l’autobus. C’est un essai, un récit autofictionnel sur l’occupation artistique du territoire. Un député en a lu un extrait à l’Assemblée nationale. Je pense qu’un projet collectif peut passer par l’occupation artistique du territoire.

C’est lié au projet Culturat ou c’était déjà présent avant ?

C’était avant.

On voit dans le film que Dominic Leclerc a consacré à Culturat que ça a quand même soudé les gens. Dans la partie avec les autochtones, on voit que ça a créé des synergies qui étaient sans doute moins fortes avant.

Oui ce mouvement qui a eu lieu est super important. Il a été créé par Minwashin, un organisme à but non lucratif qui rassemble les projets à but non lucratif autochtones. Là je vais partir faire mon premier projet avec eux.

De quoi traite-t-il ?

(un temps) C’est assez général mais je dirai que ça parle de la langue et de son importance, de la nécessité de la conserver. C’est destiné à aller au Mexique, en Nouvelle Zélande, etc. Dans le fond, c’est pour dire « Nous sommes ici » ! Qu’y a-t-il d’autre à dire sur leur situation que « Nous sommes ici maintenant » ?

Pour en revenir à Alex marche à l’amour, qu’est-ce que ça t’a amené du point de vue de la langue, de faire corps comme cela avec un texte, mais aussi avec le facteur temps qui est vraiment très important et en tant que comédien ?

Honnêtement, le texte, c’est plus une affaire d’ego, de me mesurer à ce grand texte. De mémoire, à l’époque, je pense que personne n’avait osé le faire par cœur, de l’affronter.

C’est un texte de combien de pages ?

Il faut environ quinze minutes pour le dire comme il faut. Ce que j’ai le plus retenu, c’est la rencontre et ça a eu un impact sur tout ce que j’ai fait après. Je qualifierai ce que je fais de « théâtre de rencontres ». Pour moi, c’est important d’intégrer la rencontre à l’intérieur du processus de création à partir de l’intuition. C’est ce que j’aimerais faire présentement pour avoir la rétroaction, leur faire lire les textes et les intégrer carrément à l’intérieur de l’œuvre. Rester après la représentation… Les petites jauges, la proximité. Là on était au summum de la petite jauge, je parlais à une personne.

On ne s’en rend pas bien compte mais c’était une équipe de combien de personnes en plus de Dominic ?

Juste Dominic, avec lui il n’y a jamais de perchman. Il m’a fallu réfléchir à comment entrer en contact avec les autres et ça je ne l’avais jamais fait. Et aussi comment interviewer les gens. Au début, je suis mauvais. Ensuite, au niveau de mon travail avec Dominic, la question était « Quel Alexandre je présente à Dominic ? » Dans Alex marche à l’amour, il y a une évolution. À un moment donné, je comprends quel Alexandre Dominic aime. Et moi j’ai besoin de son approbation ! Quand je le vois rire, quand je vois Dominic ému, je sais que c’est cet Alexandre là qu’il me faut. Je ne sais pas ce que lui dirait, peut-être qu’il monte son film en voulant faire rire, émouvoir autour. Il y a un effet de muse, je dois que Dominic est « mon muse ». (rire)

Alex marche à l’amour (Dominic Leclerc, 2013)

En effet, on sent qu’à un moment, tu t’abandonnes… Au début, c’est comme un challenge : il faut équilibrer la marche, l’apprentissage du texte et les rencontres puisque quand on marche toute la journée tout seul, il n’est pas facile d’être disponible pour les autres le soir. Mais rapidement, on sent que le plus important, ce sont ces rencontres et le partage autour de cette expérience, un texte qui rassemble tous les québécois et parle donc à beaucoup de gens. Ce qui est fort dans le film, c’est aussi que votre démarche concerne tout le monde.

Oui. Après celui-là, il y a Les chiens-loups et ensuite un autre qui s’en vient. Je crois que lorsqu’on regardera en arrière, un jour, ce qui ressortira de notre travail avec Dominic, le thème principal, sera l’amitié. C’est comme si on développait ensemble notre amitié. Et on grandit, on vieillit et puis on change et ce n’est pas toujours facile. On s’aime assez pour se challenger, pour s’engueuler aussi mais notre relation n’est jamais remise en question. C’est ça qui est majeur là-dedans.

Autant dans Alex marche à l’amour, tu es en représentation dans un dialogue entre toi et la caméra, autant Les chiens-loups est différent. Le travail de Dominic est alors de s’effacer complètement et de devenir caméra témoin ou caméra-miroir de ce qui se passe et de se glisser dans l’intimité que tu crées toi avec les enfants au cours de ce travail en ateliers avec des scolaires autour de la liberté à partir de la fable de La Fontaine Le loup et le chien. Comment ça se passe avec l’institution et le corps enseignant ? Ce projet est-il représentatif de tes interventions en milieu scolaire ?

Non c’est une expérience et en ce sens c’est représentatif de ce que je fais avec tous les publics, jeunes, pas jeunes, c’est à dire de rentrer encore en contact avec les gens. On avait de la chance parce qu’il y avait une ouverture incroyable à l’école, un soutien aussi. Il y avait une enseignante qui avait une stagiaire et qui donc avait du temps pour moi, pour m’aider à me structurer. Mais malgré toute cette aide, je trouvais ça difficile. Mais on était quand même très choyés. Au bout de six semaines et de toujours savoir à l’avance ce que j’aillais faire, d’avertir les professeurs, de demander des rendez-vous, j’ai demandé à l’administration de pouvoir passer deux semaines en contemplation totale, c’est à dire de ne rien faire sinon aller dans les classes pour y faire autre chose. Ce qui fait que j’amenais mon ordinateur et je travaillais sur un autre projet pendant que les enfants faisaient des mathématiques ou n’importe quoi d’autre. C’était très bien d’être juste là et d’observer et si je devais le refaire, peut-être que je commencerais par ça. Ces deux semaines là m’ont réénergisé et m’ont dit quoi faire pour la suite. Là, j’ai eu le culot de demander à la direction : « Bon, j’ai réussi à entrer dans votre cadre durant six semaines. Maintenant, est-ce que vous êtes prêts à essayer de rentrer dans le mien ? » et là, je ne sais pas si ça se comprend bien dans le film, mais je me mets à entrer dans les classes à l’improviste. Il y avait une entente avec les professeurs : « Si ce n’est pas le bon moment, dites moi non, je ne le prendrai pas mal ». À être beaucoup plus intuitif dans l’école, ce qui fait que là c’est l’école qui rentre dans mon monde. Pour parler aussi de Dominic, il est arrivé à l’école sans sa caméra. À un moment donné, il a amené sa caméra mais sans filmer, il la laissait traîner et à un moment donné, il se l’est mise sur l’épaule…

Ça s’est donc fait naturellement.

Oui et d’ailleurs, on dirait que les enfants ne sentent pas Dominic.

Oui je crois d’ailleurs qu’il n’y a qu’un seul regard caméra dans tout le film et encore je me demande si la petite fille ne regarde pas plutôt Dominic que la caméra.

Oui c’est ça.

C’est assez impressionnant puisqu’ensuite il y a cette intimité dans des débats qui ont des réflexions profondes. Sinon une des choses qui m’ont marqué le plus tôt, c’est le fait que tu te transformes physiquement…(rires)

Je voulais marquer ma présence.

Les chiens-loups (Dominic Leclerc, 2019)

Dire qui tu es…

Oui et dire que je ne resterais pas à l’intérieur du cadre. Et aussi comme quelque chose de l’androgyne, du milieu, entre le loup et le chien et chez nous. À partir du second cycle du primaire, quatrième, cinquième, sixième année, 12, 11 10 ans, le regard de l’autre est très important. Avant ça, les jeunes s’en foutent et ils sont libres. Je voulais aussi leur donner un exemple, dire que l’image on s’en fout et qu’ils se sentent libres avec moi. L’image, le corps… Voilà ce que je voulais faire. Parce qu’ils répondent ou font les choses qu’on attend d’eux. Si je leur pose une question du genre « Est-ce que c’est bien que le loup fasse ça ? » La réponse que la société attend d’eux est non et ils vont donc dire non. Et là je leur dis « Et pourtant quand je vous regarde dans la cour, il n’est pas rare que je vous voie en frapper un autre… (rire) Dans la cour d’école, il y a vos règlements et puis vous faites ce que vous êtes. Votre naturel ressort et lorsque vous rentrez dans la classe, tout à coup vous répondez ce que l’institution attend de vous. Moi ce que je veux, c’est votre naturel, votre folie ».

Il y a donc tout un processus : tu modifies leur cadre, le travail autour de la cabane avec les risques que ça comporte parfois, tout ça pour arriver à l’extérieur. Il y a toujours chez les québécois ce rapport très important avec l’extérieur, je pense entre autres aux films de Béatriz Mediavilla tournés aussi avec Dominic d’ailleurs. Dans la cas des Chiens-loups, il faut reconquérir cet espace extérieur, la rue pour arriver ensuite à ce passage du cri de l’animal d’une rive à l’autre. Qu’est-ce que ça leur a apporté et as-tu revu les enfants a posteriori ?

Je ne sais pas ce que ça leur apporte mais tu sais, Rouyn-Noranda est une petite ville donc oui les enfants, je les revoie souvent. C’est toujours dans la joie. c’est marqué comme un bon souvenir, une belle expérience mais ce qu’ils en gardent dans leur intimité, ça ne j’y ai pas encore accès. Ces jeunes là ont aujourd’hui 16 ans. Peut-être qu’un jour j’en saurai plus.

Ce qui est joli aussi, c’est ce dialogue que tu ébauches avec ceux qui ne sont pas vraiment intéressés. Le projet ne les fait pas forcément rêver et pourtant ils sont là et ils comptent tout autant que ceux qui sont à fond.

Oui, j’essayais de respecter ça. On est aussi comme on le dit dans le film dans un quartier défavorisé. Dominic a assisté à plusieurs confidences d’enfants lorsque je discutais avec eux de la réalité, de ce qu’ils vivaient. Dominic a fait le choix intelligent de ne pas le mettre pour les protéger parce qu’il y a eu des journées où c’était très dur… (ému) Je ne me rappelle même plus de ta question. C’est mon quartier aussi, mon fils est dans le film ! Il y a par exemple plusieurs maisons que Dominic a filmé qui vont bientôt être démolies à cause de la pollution créée par l’usine. Chez nous, c’est un scandale environnemental. Ça fait des années qu’ils ne respectent pas les lois environnementales et c’est sorti en 2019, ils ont décodé de démolir 85 maisons et de déménager les gens. Pour nous, c’est très douloureux.

En effet, la proximité de la mine est un peu évoquée dans le film.

Moi j’ai fait un spectacle dans ce quartier durant cinq ans, beaucoup dans les rues et ruelles qui vont être démolies. j’y ai donc un rapport poétique mais aussi un rapport d’enfance parce que j’y suis né ! Je n’ai pas encore trouvé le ressort de la révolte. Je suis dans une espèce de lâcheté ou de chaos, je suis K.O devant la situation. Oui…

Les Chiens-loups (2019, Dominic Leclerc)

Et pourtant, c’est quelque chose dont on parle dans d’autres films, notamment chez Éric Morin dans Nous sommes gold

Un quartier qui s’effondre, c’est ça qui va arriver !

Pour nous, c’est curieux que les gens puissent se mobiliser autour de la culture mais que politiquement, il n’y aie pas un mouvement pour que ça change.

Il y en a un de mouvement. Je le regarde de près. Je suis plein d’admiration et en même temps, j’essaie d‘avoir du recul. Aussi parce qu’on fait un projet dessus, j’ai comme un devoir de recul et ça c’est mon éthique à moi. Je pourrais y aller à fond militant. Moins qu’une éthique, c’est un réflexe. (silence) Le quartier est très présent dans le film.

Pour en revenir encore à ta filmographie, on te voit souvent à droite à gauche dans des tous petits rôles. (éclate de rire) Certains sont plus gros que d’autres, par exemple un court rôle mais assez marquant dans Embrasse moi comme tu m’aimes (2016) de Marc-André Forcier. Tu y joues le curé, René. Je me suis demandé quel était ton rapport à la religion si on reconsidère cette scène homosexuelle qui pour certains québécois doit friser le blasphème absolu !

Moi j’ai aimé ça parce que c’est tout à fait du Forcier.

La provocation…

C’est de la provoc totale ! Et puis être dirigé par lui. Enfin, je ne fais pas un méchant ! Je me sentais comme un jeune premier. Et je suis entouré par Pascal Montpetit et Roy Dupuis, et Antoine qui est là aussi. Je sais que je suis dans un poème ou plutôt un conte mais avec beaucoup de poésie comme dans toute la cinématographie de Forcier. On ne savait pas si ça allait être son dernier film ou pas ni comment il se sentait alors mais tout le monde au Québec se battait pour pouvoir jouer dans ce film là !

Il est bien connu pour la liberté qu’il laisse sur les tournages. Alors pour toi qui t’intéresse à cette question là, j’imagine que ça n’a pas été trop dur d’intégrer son univers ?

Non. Mais c’est drôle parce que durant ce film là, je pensais surtout à ma mère, de voir son fils en curé ! (grand rire) Elle va être contente mais après elle va faire le saut. (rire grinçant) Et aussi de voir son fils bien peigné… C’était une soutane d’époque. J’ai payé, je suis sorti dehors et je suis allé marcher dans les rues de Montréal avec ma soutane pendant une longue pause. Incognito… J’ai aimé faire ça ! (rire)

Un phantasme comme un autre…

Mais oui ! Ça n’attirait nullement les regards, c’était naturel. De jouer pour Forcier, j’étais chanceux, alors je rendais grâce.

Embrasse-moi comme tu m’aimes (2016, marc-André Forcier) Photo Sébastien Raymond

Pour tes autres petits rôles, est-ce que ça vient plutôt des tournages en région et à ta présence sur place ? Par exemple, je ne me souvenais pas de ta présence dans Guibord s’en va-t-en guerre, d’autant que tu avais une ligne de texte et qu’en plus tu étais de dos. Récemment on t’a vu pour un rôle plus important dans Crépuscule pour un tueur pour un personnage un peu mauvais, traître, dans un drôle de costume 18ème siècle, un peu mythique. Ce sont donc les productions qui te contactent ?

Oui, ils me contactent. j’ai la même agente depuis que j’ai terminé l’école. Je fais mes trucs chez moi et je ne lui demande jamais de me trouver des rôles. Je ne l’appelle jamais lorsque je ne travaille pas. Et elle ne me dit jamais « Alexandre il faudrait que tu t’installes à Montréal », comme un respect total. Ça me convient. On m’appelle souvent pour faire les yeux de méchant ou par exemple un cinéaste comme François Delisle qui a eu ce culot. Plus souvent pour des seconds rôles. « Ah Castonguay, ce serait le fun ! ». Ça j’accepte. C’est sûr que si on me demandait de jouer un premier rôle, j’y penserais beaucoup car c’est beaucoup d’organisation pour moi de partir, de sacrifice. Ou plutôt c’était, car mon fils part maintenant à Montréal pour étudier la guitare dans un collège. Bon, est-ce que ma vie va changer ? Peut-être… Je suis aussi depuis peu le nouveau directeur artistique d’une compagnie de théâtre. Mon premier rôle dans ma vie, ça a été père, c’est le rôle dont j’ai été le plus fier.

Tu as d’ailleurs été père assez jeune.

Oui, et mon fils est avec moi aujourd’hui à Florac, et c’est comme une sorte de récompense parce que ça n’a pas toujours été facile de vivre de l’art et avec des horaires où c’est n’importe quoi et puis de quand même donner une structure de vie et une routine à un enfant. Mon fils a été très résilient, il m’a suivi dans n’importe quoi. Il y avait un gros repas chez Pascal et mon fils Arthur était bien là-dedans, il vivait ce que je vis. Il vivait le privilège d’être artiste, ces rencontres, ces moments-là. Je suis de la classe moyenne, je ne suis pas riche mais il y a des moments de partage extraordinaires et c’est ça mon salaire. Il le vivait physiquement, il voyait tout ça. Donc mon rôle de père est passé en premier. Est-ce que je vais passer à autre chose ? Je ne sais pas.

Et comment ça s’est passé pour Ca$h Nexu$, parce que là il y a un rôle, parce que là tu as investi un personnage particulièrement rude. Quel genre de comédien es-tu ? As-tu besoin de te préparer à l’avance ? Est-ce que tu connais des gens, des toxicomanes pour t’en inspirer ? Par ailleurs, dans le film de François Delisle, nous ne sommes pas que dans le réalisme, il y a un symbolisme très fort, un côté chamanique même qui se développe chez le personnage petit à petit. Donc au-delà de l’organisation au quotidien, due au fait d’être tout le temps sur Montréal pour tourner, comment tu le vivais et comment tu articulais le privé et être dans la peau de ce personnage là ?

Premièrement, François m’a demandé de perdre du poids. Ça a été une grande épreuve et j’ai perdu plus de vingt kilos. c’était très douloureux et en même temps satisfaisant d’y arriver. Ensuite, on en a parlé avec François et j’ai pris le personnage à l’envers. Je me suis dit : pour entrer dans un univers aussi glauque et douloureux, il fallait le faire dans la joie. Alors c’était un plateau joyeux. Et aussi avec ma partenaire, Lara Kramer, c’était aussi dans la joie. Elle est danseuse et performeuse mais elle n’avait jamais joué de sa vie, ce qui fait qu’elle s’émerveillait tout le temps. On était donc dans l’émerveillement. Les journées on côtoyait la misère car on tournait souvent dans les lieux naturels, on était en contact avec les toxicomanes, on squattait le coin de la rue. Par exemple, pour les scènes où je mendie, il y avait déjà quelqu’un qui était là. Donc j’entrais en contact avec lui, mes tatouages l’impressionnaient, alors je lui disais que c’étaient des faux. j’ai eu des soucis avec la police.

Ca$h Nexu$ (2019, François Delisle)

Vous n’étiez tout de même pas en caméra clandestine et sans autorisation de tournage ?

Si ! François Delisle, oui. On appelle ça « commando ». (éclate de rire) Ça c’est François Delisle ! En même temps, c’est grisant. Ça fait qu’on a côtoyé toutes sortes de choses qui ont laissé des traces après. C’est l’après qui a été difficile pour moi, oui… J’ai… J’ai crashé après.

Là quand même, tu ne fumais pas vraiment ?

Non. Mais juste physiquement, psychologiquement. J’aurais peut-être du voir un psy pour m’aider à sortir de ça. Au moins pour faire un retour.

On le voit à l’écran, on sent que tu pars loin loin… C’est un personnage qui est très fort.

Je n’avais pas besoin de tant de préparation pour y aller mais j’en aurais eu besoin pour en sortir. Les personnages laissent des traces, ils font des cadeaux. Des fois, ce sont des cadeaux qui nous enrichissent, des fois ce sont des cadeaux qui nous empoisonnent, des fois c’est les deux. Le tout, c’est de réussir à les reconnaître et de dire « Bon, ça, ça ne m’appartient pas, c’est à lui. Ça, je le garde ! »

Qu’est-ce qui était le plus dur pour toi ? La relation au père ? Au frère ? Ou alors c’était plutôt physiquement, la dépendance physique. On est en effet très impressionnés par beaucoup de passages. En travaillant sur l’analyse du début du film, je pense à ta façon de marcher dans la rue, comment ça s’inscrit dans ton corps, dès le départ… On se dit que ça il faut aussi du temps pour le perdre. De même qu’il t’a fallu perdre du poids, il faut que ton corps guérisse…

(un silence) Je te dirais que c’est ça : la guérison du corps. C’est assez… Comment dire ? Je cherche le mot… ésotérique. Enfin, je ne peux pas nécessairement le nommer. Je peux dire que le tournage s’est terminé à peu près en novembre. Lorsque le tournage s’est terminé, j’ai continué à m’entraîner, la même routine d’entraînement.

C’était quoi cette routine ?

Des entraînements de fou. 5 ou 6 jours par semaine. Beaucoup de course et comment dire ça… Des planches, tu vois ce que c’est ? Tu te mets par terre… Des entraînements d’escalade, juste de nerfs.

Pour être en tension…

Pour être en tension. Ça me prenait environ deux heures. Mais quel citoyen lambda fait ça 6 jours par semaine ?

En effet, (rire) d’habitude on fait plutôt le contraire, on cherche plutôt à se détendre.

C’est ça.

Il fallait que tu sois un peu comme une corde de guitare qu’on puisse accorder…

Oui. En février, 4 mois après le tournage, je faisais toujours ça comme si j’étais encore dedans. Et puis un matin, j’ai été incapable de me lever.

Ca$h Nexu$ (2019, François Delisle)

Dans ces cas là, on sécrète des hormones particulières donc tu ne peux pas arrêter du jour au lendemain.

Il aurait fallu que j’en sorte progressivement. Continuer mais réduire l’entraînement.

Il t’aurait presque fallu un coach…

Un coach de sortie. Donc ce matin de févier, j’ai été incapable de sortir du lit et là, ça a été… un enfer ! Je me suis mis à fumer, je suis rentré dans des habitudes de vie qui n’étaient pas les miennes jusqu’à ce que je fasse « OK, ça suffit ! Là ça va… » (rire)

Dans ces cas là, ce n’est pas évident à la maison.

Non. J’envoyais une image « fonctionnelle », mais intérieurement, ça ne marchait plus.

C’est sans doute aussi ce qui fait que le film est réussi !

J’adore ce film là. J’en rêvais. Chasse au Godard, c’est une proposition artistique totale. Ca$h Nexu$, c’est une proposition artistique totale. En tant que jeune acteur, je rêvais de jouer dans des propositions artistiques sans compromis. Il y a comme le phantasme de l’écorché dans ce genre de propositions. Là, je l’avais ! Donc j’ai tout donné. C’est ça le cadeau, je suis content. J’ai une petite filmographie, mais il y a des belles œuvres. Il n’y a pas beaucoup de compromis commerciaux là-dedans.

En France, après un rôle comme celui-là, on aurait tendance à te proposer plein de rôles très durs ou avec des transformations physiques importantes. Est-ce qu’au Québec, ça marche aussi comme ça ? Est-ce que ton agente a reçu des demandes de ce type ?

Rien ! On dirait que j’entends mon père parler… (rires) Mon père, ma mère, ils espèrent tout le temps que ça va ouvrir des portes… Mais non ! Tu sais, les gens ont leur cercle. Il y a des réalisateurs comme François Delisle qui aiment découvrir, qui prennent beaucoup de risques à chaque film, alors que quand on tombe dans le cinéma commercial, on trouve des « gueules » qu’on connaît. Moi je n’ai pas une tête connue… Disons que je suis connu dans le milieu par une partie du milieu cinématographique et du grand public.

Tu ne fais pas de télévision ? Au Québec, on sait que pour être populaire il faut apparaître à la télévision.

J’ai fait deux apparitions dans deux séries et là pour mon entourage, mes tantes et tout, là ça marche ! Je suis à la télévision dans leur salon, dans leur maison. Là Alexandre a réussi ! (rires) je n’ai pas besoin de me déplacer au théâtre, ni au cinéma… « il est rentré dans mon salon » et là ça marche.

Mais toi ce n’est pas ce que tu cherches…

Ben non.

Ceci dit , si demain on t’appelle pour le premier rôle d’une série à but populaire, tu vas quand même être tenté d’y réfléchir ?

Je vais y réfléchir. Mais en ce moment, avec ce poste de Directeur Artistique de compagnie, c’est assez foisonnant, j’ai des projets pour les 4 ou 5 prochaines années. Ça c’est un jardin dans lequel je suis heureux et je suis pas sûr de vouloir faire des compromis là-dessus.

Le prochain projet que tu as avec Dominique, c’est autour de ce projet de théâtre ou il s’agit d’encore autre chose ?

C’est autour de l’usine dont on parlait tout à l’heure. Moi j’ai fait lire la pièce d’Henrik Ibsen, Un ennemi du peuple, aux gens de mon quartier et ça va aussi aboutir à une proposition théâtrale. Dominique suit ça depuis le début. Les gens lisent la pièce, on s’assoit, on fait des entrevues, on parle de la pièce, de leur rapport au théâtre, est-ce qu’ils vont au théâtre ? Est-ce que c’est important pour eux le théâtre ? Et ils font des associations entre la pièce et la situation qu’on vit dans le quartier. Donc on a d’abord fait ça assez longtemps, puis ensuite on l’a lue avec des comédiens locaux mais dont certains n’avaient jamais joué de leur vie. On l’a jouée dans le Théâtre Municipal devant environ 400 spectateurs. Ensuite, on a fait un retour sur la pièce assez animé, sur ses enjeux, un espèce de retour dramaturgique. Là, je suis dans le processus de recherche pour créer la pièce et Dominique documente tout ça. Et moi j’évalue ma posture là dedans.

Avec Dominic Leclerc au festival Vues du Québec de Florac – Photo Christian Ayesten 2023

Pour finir, à Florac tu vas faire une master class, de quoi vas-tu parler, comment vas-tu t’y prendre et aborder la chose ? Je crois qu’une compagnie qui fait de l’impro va être aussi présente, alors quelle est l’idée ?

Moi je ne sais pas ce que je raconte ! J’ai des outils, il y a des choses qui reviennent. J’ai des faiblesses. Je vais sûrement leur parler de mes faiblesses, beaucoup de mes peurs, du fait qu’on ne meurt jamais du fait de s’être trompé, de la fiction et de la réalité. Je suis dans un grand questionnement par rapport à ça. Il y a aujourd’hui une mode du théâtre documentaire. Or, historiquement, la scène, c’est le lieu de la fiction. Mais aujourd’hui, dans les quotidiens, aux nouvelles, on ne croit plus la vérité, celle qui arrive des journalistes. On est dans l’ère de l’alternative fact et de la fausse vérité. Ce qu’ils nous disent est de la fabrication, donc de la fiction. C’est comme s’il y avait eu une inversion, comme si la scène endossait la responsabilité d’amener la vérité par le théâtre documentaire, de l’emmener sur scène parce qu’elle n’était plus dans les médias d’actualité. Je ne sais plus non plus si je joue un personnage. Quand j’étais jeune, je me voyais me transformer. Aujourd’hui, j’y vais en ramenant le personnage vers moi le plus possible alors qu’à l’époque j’essayais d’aller vers le personnage ! Je suis complètement mélangé, un peu à l’image de ce phénomène actuel où on ne sait plus où est la vérité. Je pense que je vais parler de tout ça.(rire)

Je pense que ça va les intéresser.

Je crois que c’est Depardieu que j’ai entendu dire : « La peau du personnage, ça n’a toujours été que ma peau à moi » et ça il le dit dans son personnage de Depardieu, qui est toujours over, plus grand que la réalité, un peu ridicule mais comme comédien, on peut réfléchir longtemps à cette phrase là. Qui est-ce qui est là ? (rires) C’est qui ce vrai personnage ?

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