A comme Avion : Il est partout dans le premier épisode et se matérialise au troisième volet pour nous offrir une vision d’ensemble du Nouveau monde. Ouvrir l’espace... « Est-ce si loin Québec pour qu’avec un avion tu n’arrives pas ? » susurre Daniel Lavoie au générique final de cet ultime chapitre de la trilogie. Il aura fallu trente ans à Abel pour s’affranchir de la pesanteur et enfin décoller. Comme son créateur, qui aimerait mourir en avion. A comme Absolu. Voir aussi Alger : « Ton Alger, c’est mon Québec ».
B comme Blanc : « Qu’est-ce d’autre que le Québec qu’une grande abstraction blanche?» nous dit le poster épinglé au mur de la mansarde parisienne. Un territoire intérieur. Abel se plaindra donc au caricaturiste de la Place du Tertre « C’est pas moi, y a pas de neige ! » En effet, parfait médium, Marcel Sabourin a un vrai visage-paysage !
C comme Chanson : Ici, on aime à chanter les exploits du passé, cette Madame de Verchères, célèbre jeune fille s’étant illustrée dans la lutte contre les Iroquois. Par contre « Comment chanter les gloires françaises » après tant d’insanités, capables de faire disparaître le sable sous les pavés et presque à leur tour, Cézanne et Rimbaud. Comme s’il n’y avait plus de mots, la chanson attendra le générique final de la trilogie pour résumer la déchirure qui a couru le long de la vie d’homme d’Abel et accompagner la libération du héros dans un finale aussi aérien que le Lindbergh de Robert Charlebois.
Le chansonnier du Vieux pays où Rimbaud est mort ( Jean-Pierre Lefebvre, 1977) Capture d'écran
D comme Dieu, De Gaulle, Douleur ?
E comme Écriture : la pratique de la calligraphie sur ardoise d’Abel ne doit rien à la Nouvelle vague mais tout aux grands écrivains français : Rimbaud en étendard, Cendrars comme rêve exotique (« Mes bananes se portent bien » écrit le père hors de tout contexte moral) et tout aussi classiques, Proust ou les voyageurs en conscience, Saint-Exupéry, Malraux ou Camus.
F comme Femmes, Fleurs, Fourmis. Dans l’ordre mais sur un même plan cosmique.
G comme Godard ... ? Non ! Pas comme Godard… Comme Gars, un gars sans histoire.
H comme Histoire : Ah ça, parlons en puisqu’il faut s’en libérer pour pouvoir exister. D’abord, de la personnelle, puis de la nationale. Jean-Pierre Lefebvre débarque en France et réanime les cadavres dans le placard, ceux là même qu’une critique française bercée par des velléités révolutionnaires de convenance, a fini par oublier. C’est pourtant ainsi que les hommes survivent, pourrissant la vie de bien des familles de la France des années 70 avec leurs cauchemars algériens et la violence pour tout langage. Côté québécois, n’oublions pas que Jean-Pierre Lefebvre sera l'un des cinéastes les plus virulents quant au traitement réservé aux autochtones dans l’excellent Les maudits sauvages (1971), substituant la critique historique à une philosophie de vaincus.
I comme Insecte : Comme eux, l’on se débat dans l’existence, à moins de se connaître assez pour lâcher prise. Running gag, motif visuel où se structure l’obsession d’Abel, lui même prisonnier de la boîte vitrée de sa vie. Plus intéressant dans Aujourd’hui ou jamais (1998), Abel dispose une drôle de pyramide de fil de fer, baleines sans parapluie, pour marquer l’emplacement d’une fourmilière et établir un contact. Construction mentale pour communication infra-terrienne à l’opposé des architectures géantes des fourmis de Phase IV. Nous sommes petits.
J comme Jean : Prénom constant du partenaire masculin dans le couple-témoin tout au long des fils de Jean-Pierre Lefebvre. Une sorte d’homme idéal, rival ou plutôt acolyte d’Abel. Si chez Abel, il y a quelque chose d’enfantin, d’angélique et même parfois, de sacrificiel, Jean incarne l’homme mûr et assumé, maître du verbe séducteur. Mais aussi lesté d’un passé, mu par un combat et de fait, lointain des désirs d’Anne (Anouk Ferjac dans Le vieux pays où Rimbaud est mort).
Anouk Ferjac dans Le vieux pays où Rimbaud est mort (Jean-Pierre Lefebvre, 1977) Capture d'écran
K comme Kebek : Son grand et unique amour, dont le nom se décline sous toutes les formes. Abel en est d’abord, le symbole : pas tout à fait mûr, puis attendant désespérément une reconnaissance de la France. Un des enjeux de l’œuvre, changer l’image du québécois, celle qu’il a de lui-même quand on nous a « enseigné à l’être, à le rester surtout ». (JPL)
L comme Langage : Parce qu’il est urgent de communiquer. Même si on n’a pas le même langage… Personne n’a oublié le résumé de la première journée d’Abel à l’écran. Des mots épars, des ébauches de phrases qui ne jointent pas, qui ne font pas durée. Encore une fois, il faudra trois décennies pour que le langage devienne action, que le cinéma moderne redevienne d’aventure, comme celui que Lefebvre voyait à l’adolescence, en ce temps des géants.
M comme Méditerranée : Ou l’éternité retrouvée dans la seconde partie du Vieux pays où Rimbaud est mort (1977). C’est là qu’enfin Abel se dégèle, mieux que dans les salons ou bistros parisiens. Et où l’on songe cette fois à d’autres cousins, Rohmer qui squatterait chez Jean-Daniel Pollet (Méditerranée (1963) dont JLG s’inspirera pour Le mépris ou encore à Bassae, 1964) dans cette belle scène nonchalante de bulles de champagne sur la mer… Comme « un spectacle dont on sait bien qu’il ne viendra pas du dehors » (Méditerranée), la mer emplit tout. Liquide amniotique, elle fait lien. Depuis l’Antiquité, pour toujours figée par un raccord final dans les glaces québécoises, flottantes, en bataille, ces revers « des gloires françaises ».
N comme Napoléon : Patronyme hautement symbolique, pour ce père qui a abandonné les siens comme les français abandonnèrent jadis le Québec aux anglais, condamnant ainsi les populations francophones d’Amérique à la mémoire. Ici, le retour de St Hélène advient dans Aujourd’hui ou jamais dont il constitue le thème central : la conjuration de la trahison des pères.
Claude Blanchard (Napoléon) et Julie Ménard (Monique) dans Aujourd'hui ou jamais (Jean-Pierre Lefebvre, 1996) Capture d'écran
O comme Osmose : terme qui caractérise le cinéma de Jean-Pierre Lefebvre selon Eric Fillion. Sa « fonction première est de permettre à l’individu (l’auteur / le spectateur) de se retrouver afin qu’il puisse exister pleinement et librement. Il ne faut pas mourir pour ça, tout comme l’ensemble de l’œuvre à laquelle le film appartient, passe donc par la rencontre d’un être avec ses moyens et son milieu – c’est un cinéma national empreint d’humanisme. » Hors champ, La survivance chez Jean-Pierre Lefebvre, 24 février 2011.
P comme Pigeons : tournant le dos à la Tour Eiffel comme à l’Obélisque de la place de la Concorde, Abel donne toute son attention aux pigeons de Paris. C’est aussi un pigeon qui remplacera l’avion au centre de la cage.
Q comme Q : Plus le temps avance, plus il s’éloigne physiquement d’Abel (et Marcel Sabourin de s’en aller reluquer les plus beaux seins du monde (Deux femmes en or, Claude Fournier, 1970). Et si l’érotisme restera jusqu’à aujourd’hui une préoccupation majeure de Jean-Pierre Lefebvre, la représentation de la sexualité a été analysée en parallèle dans le cultissimme pamphlet Q-bec my love ( ou Un film commercial, 1970, - Q de P-Q, papier toilette selon l’Auteur !) ou l’union des colons et des indiens démythifiée dans les viols des Maudits sauvages (1971). Le sexe est encore possible, hors champ, pour les amoureux d’Aujourd’hui ou jamais qui de leur chambre noire des plaisirs, écoutent inondés par la lumière émanant du dehors la joie d’un père et d’un fils retrouvés sur le Magnificat de Bach remplissant l’espace pour un des plus beaux plans du film.
Aujourd'hui ou jamais (Jean-Pierre Lefebvre, 1996) Capture d'écran
R comme Rimbaud : Le guide d’Abel en territoire français. Il est partout dans Le vieux pays. Comme son personnage, le cinéma de Jean-Pierre Lefebvre n’a jamais cessé de tenter de se libérer pour accéder à la poésie pure, l’éternité. C’est pourtant en filmant la fin (Les dernières fiançailles, 1973) que Lefebvre a le mieux vaincu le temps, faisant alors de son cinéma cet autel, ce buffet…
« O buffet du vieux temps, tu sais bien des histoires,
Et tu voudrais conter tes contes, et tu bruis
Quand s'ouvrent lentement tes grandes portes noires. » (A.R, 1870)
S comme Suicide : En filigrane, au bout de la ligne. Mais pas pour Abel dont la névrose s’accommode fort bien d’une quête existentielle au long cours. D'ailleurs, il n’est rarement plus juste que quand il console les désespérés au téléphone. Le suicide n’existe que pour ces mots là, les dire et les entendre.
T comme Temps : il est cyclique, répétitif, fortement marqué par les saisons et notamment par le retour de l’inévitable mélancolie hivernale. Saison méditative où se retrouver, toujours suivie d’une renaissance. « Le temps efface bien des choses mais en fait renaître de toutes autres ». (JPL) C’est donc naturellement que la création chez Lefebvre suit le cours tranquille du calendrier. Et il y a aussi le temps de la prise, l’emprise du Direct sur la fiction, qui imprime son rythme aux choses, au montage et amplifie l’espace lefebvrien.
U comme Abel, Unique. L’unicité est sa grande quête.
V comme Vieillesse : elle semble repoussée à jamais mais vient à point pour qui sait l’entendre, comme les époux des Dernières fiançailles. La création chez Lefebvre est la source d’éternelle jeunesse, comme ce dernier chapitre coécrit avec l’ami, le complice et la muse Marcel Sabourin. Le « multiplicateur ». (JPL) Qu’importe le ventre pour vu qu’on ait l’ivresse et l’esprit aérien. « Rien ne dépérit, c’est moi qui m’éloigne »…
"Vive le Québec libre !" à Paris. Abel aux prises avec la tactique du gendarme... Marcel Sabourin face à Robert Darmel dans Le vieux pays où Rimbaud est mort (jean-Pierre Lefebvre, 1977) Capture d'écran
W comme Western : À l’image des héros de jadis, le chapitre final met en scène des géants qui vivent enfin leur OK corral. Il y a bien ici une balle et quelques belles mais au final, le cow-boy n’est désormais plus solitaire et s’élance avec une promesse de retour sur son destrier volant à travers ces ciels fordiens infinis du wilderness américain.
X, Y… Z comme Zéro : De l’Infini, de l’Humanité et du Cinéma… « Il n'y a pas de bonnes ou de mauvaises choses. Il n'y a pas de ciel ou d'enfer. Il y a un zéro et un infini pour les besoins de notre compréhension humaine qui est très limitée. On situe des extrêmes négatifs et positifs, on situe un extérieur et un intérieur. Mais dans les faits, ça ne se présente pas comme ça. Parce que l'électricité n'existe qu'avec un négatif et un positif. Nous n'existons qu'avec un intérieur et un extérieur. Un film - et c'est là une grande hérésie propagée longtemps par la critique – n'existe pas en tant que forme, en tant que fond. Il existe en tant que tout, comme un être humain. »
JPL, interview avec Janick Beaulieu dans Séquences n°76, avril 1974.
Remerciements : Dominique Dugas et Elephant.