Contrairement aux actions du Front de Libération du Québec (FLQ) des années 1960-1970 qui ont inspiré moult films québécois (voir sur ce site l'article FiLms Québécois), la révolte des Patriotes de 1837-1839 - pourtant considérés par les militants du FLQ comme leurs glorieux ancêtres - n'a pas suscité autant de mètres de pellicules. A cela plusieurs raisons.
Tout d'abord les cinéphiles et plus encore les cinéastes québécois, n'ont, bien évidemment, pas vécu la période concernée. Deuxièmement, tourner un film en costumes du début du XIXeme siècle coûte cher et le budget moyen d'un long métrage québécois peut rarement s'offrir ce luxe. Troisièmement (et ceci est un point commun avec les films consacrés au FLQ), les organismes de financement du 7ème art provinciaux (SODEC) et fédéraux (ONF et Téléfilm Canada) sont peu enclins à faciliter la réalisation d'oeuvres qui, rappelant les affrontements historiques entre francophones et anglophones, suscitent souvent des polémiques. Cette impression de relative rareté est sans doute renforcée par le fait que les quelques longs métrages consacrés aux Patriotes n'ont pas connu de gros succès publics et n'ont guère suscité l'enthousiasme de la critique.
Passons rapidement sur les films qui, retraçant l'histoire du Québec (Les Maudits Sauvages de Jean-Pierre Lefebvre, 1971) ou de Montréal (Hochelaga, terre des âmes de François Girard, 2017) font une courte mais utile halte sur cette période souvent ignorée des jeunes générations. Le premier film qui se focalise sur cette révolte écrasée par l'armée britannique est une oeuvre méconnue de Marcel Carrière qui sort en 1970, l'année de la crise d'Octobre. Dans la grande tradition du cinéma direct, Carrière mélange fiction et documentaire. La reconstitution concerne la bataille de Saint-Denis sur Richelieu, l'une des seules victoires des Patriotes, tandis que les images du réel s'intéressent à la commémoration de cet événement historique et aux réactions qu'ils suscitent dans la jeunesse de la fin des années 60. Assez pessimiste sur ce soulèvement, Saint-Denis dans le temps ne suscita pas l'enthousiasme et à aujourd'hui au moins autant une valeur sociologique que cinématographique.
Deux ans après, en 1972, un premier film à vocation commerciale sur cet événement prend l'affiche. Denis Héroux qui fit ses études d'histoire et son premier long métrage (Seul ou avec d'autres, 1962) avec Denys Arcand, reprend partiellement la célèbre citation de Voltaire pour intituler sa réalisation Quelques arpents de neige. La reconstitution historique est soignée mais la rébellion de 1837 sert avant tout de fond historique à une classique bleuette sentimentale entre un homme et une femme promise à un autre. Le film de ce cinéaste surtout connu pour ses réalisations érotiques des années précédentes est largement moqué par la critique pour sa médiocre mise en scène et le jeu de ses acteurs. Après cet échec, Héroux ne tarde pas à mettre fin à sa carrière de réalisateur pour devenir à temps plein un producteur réputé.
Il faut attendre plus d'un quart de siècle pour qu'un nouveau long métrage, Quand je serai parti... vous vivre encore, prenne pour sujet la révolte des Patriotes. Et cette fois, c'est l'un des plus grands cinéastes québécois qui s'attèle à la tâche : Michel Brault. Pilier de l'équipe française de l'ONF qui fonda ce cinéma au tournant des années 1950-60, il est auteur de plusieurs chefs d'œuvre dont le célèbre Les Ordres sur les évènements d'octobre 1970. Cette fois (enfin), l'événement ne sert pas uniquement de toile de fond mais est au coeur du projet. Essayant d'être le plus fidèle possible aux événements historiques, Brault raconte en images mais avec un évident manque de moyens, les grandes phases de ce soulèvement qui se termina par l'exécution de 12 hommes considérés par les Anglais comme les meneurs de la révolte. Le film est encore une fois un échec. Brault, lucide, l'explique ainsi : "Il n'a pas eu grand succès. Je ne sais trop pourquoi. Peut-être justement parce que j'ai essayé d'être trop fidèle aux événements. C'est souvent problématique avec les films historiques." Malgré tout, la dernière réalisation de la longue et brillante carrière de Michel Brault, par son ambition et son honnêteté, mérite d'être vu et revu deux décennies après sa sortie.
Parallèlement, Pierre Falardeau qui lui aussi a traité avec brio la crise de 1970 (Octobre, 1995) essaye depuis des années de réaliser un film sur cet événement qui le passionne. Mais il se heurte aux refus des organismes financeurs qui ne veulent pas que ce cinéaste et polémiste très impliqué en faveur de l'indépendance du Québec puisse donner sa vision de cet affrontement qui a divisé et divise encore le pays. Pour contourner l'obstacle, Falardeau lance une souscription populaire qui lui permet de tourner un film intitulé 15 février 1839 qui sort en 2001. Ce jour est celui où furent pendus les chefs Patriotes. Conscient d'avoir un financement limité, Falardeau, après un bref rappel historique, raconte le dernier jour des condamnés à mort en se concentrant sur François de Lorimier. Luc Picard (qui jouait aussi dans Octobre et fait ainsi le lien entre les deux films et les deux époques) incarne le futur supplicié et obtient à juste titre le prix du meilleur acteur québécois de l'année. Souvent poignant, très engagé (le film s'achève sur une citation de Che Guevara), 15 février 1839 est sans aucun doute le film le plus abouti sur cette révolte inaboutie.
Et depuis ces vingt dernières années ? Rien, si ce n'est un projet d'un jeune cinéaste nommé Mathieu Trottier-Kavanagh qui, en 2017, souhaitait réaliser un film intitulé Rébellion. "Je me suis senti un peu comme Pierre Falardeau quand il essayait de faire financer son film 15 février 1839 sur les patriotes, Les institutions sont frileuses avec ce genre de sujet. Pourtant, c’est important de raconter les chapitres moins connus de notre histoire." Lui aussi a tenté de trouver le financement par un appel aux dons. Mais la souscription s'est soldée par un échec. Il y en a décidément beaucoup dans cette Histoire...