Du nouveau dans la comédie nord-américaine et surprise, ce n’est pas aux États-Unis mais bien au Québec que germe une future équipe de rigolos et autres foldingues. Des gens de cœur qui travaillent d’abord le côté humain des personnages, à l’image de l’un des scénaristes envoyé présenter leur rejeton, Prank, au festival 48 images seconde de Florac. Éric Kalamity Boulianne, l’homme qui sacre plus vite que son ombre… ( presque vrai dans son magnifique court-métrage Petit frère que certains eurent la chance de découvrir à Cannes en 2014 ) – non… simplement Éric K Boulianne, futur grand nom de la comédie québécoise, pas seulement parce qu’on vient de lui confier l’écriture de la suite d’une célèbre franchise de la comédie policière, mais surtout parce que son tandem avec le talentueux Étienne Galloy n’est pas prêt de s’arrêter. En attendant, le public floracois put rire des frasques de ces « osties d’niaiseux », à la fois pêchus et touchants, comme leurs géniteurs.
Tu es issu d’une gang assez importante qui fait des choses depuis pas mal de temps. Vous vouliez entre autres prendre le pouvoir sur internet ( rires ) en écrivant et en tournant un maximum de formats courts, de clips…
Et bien… oui ! Au départ, on était un collectif qui s’appelait Romance Polanski…
Joli nom !
Merci.. On ne se doutait pas que ça prendrait de telles proportions mais on avait toujours voulu faire du cinéma. Mais c’est difficile de commencer tout de suite avec un court ou un long-métrage, alors on essayait de faire des capsules, web au départ. Puis on a commencé à tourner des courts-métrages, un par an, qu’on faisait entièrement de façon artisanale et de notre poche. Donc on en a fait un par an jusqu’à ce qu’il y en ait un qui fonctionne, Petit frère (2014 ), qui s’est retrouvé à la Semaine de la critique à Cannes. Ça a été le point de départ, ensuite on a enchaîné avec Prank puis d’autres projets. Mais Romance Polanski, c’est plus le label qu’on utilise lorsqu’on fait des films avec notre propre argent…
Alors ton alter et go, c’est le producteur Jean Sébastien Beaudoin-Gagnon. Il y a aussi le réalisateur Rémi St Michel (@ le fameux Klaus Kinky…)
Oui c’est le réalisateur de Petit frère, avec qui j’avais déjà fait un court-métrage qui n’a pas beaucoup circulé – enfin au Québec mais pas à l’international, et qui s’appelait Marshmallow ( 2010 ). On a aussi fait Steve Carignan, défenseur étoile ( 2012 et aussi la même année Le chevreuil )… Beaucoup de courts-métrages un peu ringards ( rire ), jusqu’à ce qu’il y en ait un qui fonctionne.
Dans Petit frère, tu interprètes un des deux personnages en duo avec le jeune comédien de Prank, Étienne Galloy, que tu décrivais avec beaucoup d’humour comme ta muse. Au delà du fait que vous vous soyez rencontrés dans un « concours de suçage » ou je ne sais où ( éclate de rire ), que peux-tu nous dire de ta participation active à ce film ? C’est toi qui en est l’auteur ou est-ce que c’est plutôt collectif car ici on a l’impression d’un ton plus personnel, qu’il vienne de ton jeu comme de l’écriture du personnage…?
Petit frère, c’est vraiment un film que j’ai écrit tout seul, sans doute mon film le plus personnel jusqu’à maintenant. Mais c’était surtout un cadeau que je nous avais fait à Étienne Galloy et moi afin qu’on joue ensemble parce que je savais qu’il y avait une chimie entre nous et je me doutais bien qu’il en sortirait quelque chose à l’écran. Je pense en effet qu’on sent bien la camaraderie et ensuite je l’ai proposé à Rémi parce que c’est un bon ami et donc on se connaît bien aussi. Si j’ai écrit Petit frère, c’est parce qu’à ce moment là on parlait beaucoup avec Jean Sébastien Beaudoin-Gagnon d’être des grands frères. On est tous les deux fils uniques et on se disait que ça serait bien d’aller voir des jeunes en difficulté et de les emmener voir des films et tout ça… Bon on l’a pas fait mais au moins on a fait un film. ( rire )
Donc avec Étienne, c’était plus une relation d’amitié qu’une complicité artistique ou vous faisiez aussi du stand up ?
Non, non. J’ai découvert Étienne quand il avait onze ans. Je faisais une websérie et ça a été la toute première audition de sa vie, il n’avais jamais joué ni fait de casting. Quand il est entré dans la salle, c’est moi qui lui donnait la réplique. Ça a cliqué ( sympathiser) tout de suite, j’ai vraiment senti que ce jeune avait un naturel assez déconcertant. C’était amusant de travailler avec lui parce qu’il s’émerveillait de tout, tout était nouveau pour lui. Il garde encore ça d’ailleurs pour Prank. Même si on était une équipe de trois personnes pour le tournage, pour lui c’est juste formidable de jouer et il garde encore cette belle naïveté. Mais sinon, je n’écris pas avec Étienne…
Mais pour Étienne !
Oui et parfois on improvise sur Petit frère ou Prank, mais assez peu, c’est vraiment tout écrit car je le connais assez bien et je sais ce qui va fonctionner.
Est-ce que tu pars plutôt des gags, des situations, du personnage ?
Difficile à dire… Souvent je pars d’un concept, d’une idée qui mûrit assez longtemps. Petit frère, ça a été cette volonté de faire un film sur les grands frères… donc ça part surtout de l’inspiration, de nos influences cinématographiques. On voulait faire un film dans une veine très proche du cinéma américain des années 90 comme Clerks de Kevin Smith…
Spike Lee aussi ?
Oui un peu quand même… C’est sûr qu’il y a une influence de Do the right thing.
Il y a ce rythme…
oui tout à fait, un peu jazzy… et pop aussi. Prank est aussi un hommage à toutes les comédies américaines qui nous ont influencées, Judd Apatow et tout ça. Le cinéma naît souvent d’un désir, non de décalquer mais de s’inspirer et ensuite de prendre une idée. Par exemple, en ce moment je développe un long-métrage avec Rémi St Michel justement et Étienne – évidemment ( rire )… Je voulais faire un coming of age qui croise le film catastrophe en mélangeant les deux styles. Ça me trottait dans la tête jusqu’à ce que d’un coup ça sorte et que je me mette à écrire. Mais je ne commence pas vraiment avec des personnages mais plutôt avec un concept général qui prend forme.
À part la pizza et les influences communes, tu as d’autres points communs avec Seth Rogen et toute cette génération là ?
Le poids… ( rires ) Ben le premier que j’ai vu, c’était Knocked up ( En cloque mode d’emploi, 2007 ) et j’ai flashé sur le fait qu’il était possible de faire de la comédie tout en gardant un côté très humain. Il y avait parfois des choses touchantes dans ces comédies là. En fait, c’était aussi inspiré par l’univers d’autres cinéastes comme James L Brooks, mais moi quand je l’ai découvert chez Judd Apatow, c’était la première fois que je voyais de la comédie grand public avec cette touche là et ça m’a vraiment interpellé. Donc, c’est ça que j’ai eu envie d’essayer aussi et qui se retrouve dans tous mes projets, jusqu’à la comédie mainstream avec des blagues un peu plus grasses mais sans perdre le côté humain. Être à la fois touchant, drôle et de mélanger ces deux avenues là. Seth Rogen, Judd Apatow et sa bande le font vraiment très bien !
Alors on retrouve ici cette gravité, un peu moins affirmée que dans Petit frère où elle était le ressort dramatique, dans l’évolution du personnage de Stefie et son lien avec la fille…
Pour Prank, ça vient aussi de l’écriture à quatre mains. Ce n’est pas un film que j’ai écrit entièrement mais avec mes amis. Ce n’est pas que le style se dilue mais ça s’homogénéise au contraire avec les trois autres coscénaristes. En plus, Prank a été écrit très rapidement, en un mois et demi et ce, pour que ça soit tourné tout de suite. Donc il y a peut-être des ressorts dramatiques qui sont ici, pas clichés mais en tout cas plus évidents. La base du garçon qui a le béguin pour la jeune fille, puis la relation d’amitié qu’il développe avec cette gang là… Martin qui fait office de méchant…
Le décalage naîtrait plutôt des personnages que du jeu des acteurs alors…
Oui et puis il y a Jean-Sé qui est le sidekick. À la base, si on décortique le film, tout ça reste assez simple, déjà vu. Mais nous, on n’a pas peur justement d’aller dans le cliché et dans les histoires qui ont été racontées plein de fois car il y a quand même quelque chose de nouveau à apporter à ça. Dans Prank, ce qui nous intéressait beaucoup, c’étaient les saynètes où on sort de la vie de ces jeunes là pour se retrouver dans la vie des gens à qui ils font des mauvais coups, par exemple ce père qui est seul à la maison et qui essaie de se masturber ou le couple qui se sépare et reçoit des confettis, l’espèce de douchebag ( blaireau québécois tout en muscles ) qui va perdre son chat et qui se fait déféquer sur sa voiture. Donc ça nous intéressait de sortir de notre récit pour aller ailleurs, vers ces personnages qu’on n’a jamais vus…
Il y aurait presque un petit côté Ken park de Larry Clark…
Oui c’est vrai, je l’avoue. On parle aussi assez souvent d’Harmony Korine. Dans Mr lonely, il y a toute cette histoire avec les nonnes qui n’a aucun rapport avec le récit principal et c’est ce que je trouve vraiment intéressant. Mais dans Prank, on voulait finir sur un ton plus cruel, amer. L’objectif, ce n’était pas d’être aussi touchant que dans Petit frère, mais d’aller vers le bizarre pour faire un OVNI de la comédie.
Ce qui est très réussi ! ( rire ) Alors si j’ai une réserve sur le film, c’est que tu étais annoncé comme comédien au générique… Et en effet on te voit dans une scène, mais ensuite on attend tout le film pour savoir si tu vas revenir, mais non !
( rire ) Non, je ne reviens jamais. Je donne un coup de pied et je disparais…
Ce n’est pas frustrant de ne pas jouer plus ici ?
Non, non. Parfois je joue la comédie mais ce n’est vraiment pas ce qui m’intéresse. C’est surtout écrire. Au Québec les scénaristes-scénaristes sont assez rares, ceux qui ne font que ça, qui ne réalisent pas ou qui ne jouent pas… Ce n’est pas tellement dans la culture cinématographique québécoise. Bon, je ne suis pas le seul : tous mes collaborateurs sont seulement scénaristes. Il s’agit seulement de se concentrer sur quelque chose et d’essayer de bien le faire. Certains ont du talent pour jouer, d’autres pour réaliser. Moi, c’est ça que j’essaie de faire…
En termes de réalisation ou sur le montage, vous aviez quand même votre mot à dire ? Vous êtes restés collectifs jusqu’au bout ou au contraire, vous avez délégué à Vincent Biron ?
Le processus d’écriture a été assez difficile avec Vincent car il n’avait jamais travaillé avec des scénaristes. Habituellement, il écrivait ses scénarios lui-même. Cette fois, il a fait appel à nous pour l’écrire plus rapidement. Au départ, quelque chose clashait entre lui et nous car il avait un peu l’impression de perdre la main sur son film, qu’on n’allait pas forcément dans la direction que lui souhaitait. En fait, c’était nouveau pour lui. On essayait de lui montrer qu’on cherchait juste à lui donner une base solide pour qu’ensuite il puisse s’amuser avec. Mais il l’a compris en cours de processus et une fois arrivé à la réalisation, il a pris ce matériel là et il a fait quelque chose d’assez différent de ce qu’on avait écrit. La base reste la même. c’est là que j’ai vu qu’il y prenait plaisir, qu’il s’amusait avec ce qu’on avait écrit. Après, ce n’était pas notre boulot de réaliser avec lui, donc on le laissait vraiment faire comme c’était prévu au départ. Là, il a vu que ça pouvait être bénéfique de travailler avec des scénaristes.
Il y a un travail sur la durée du gag, avec des plans fixes notamment : celui très emblématique du masque au bord de la piscine, la balle de base-ball du début…
Vincent Biron est aussi un directeur photo qui a travaillé avec Denis Côté et qui ici assure lui-même la photo, ce qui nous a permis aussi de faire le film parce qu’on était seulement trois sur le plateau. Le producteur était aussi preneur de son. Ensuite, un autre producteur ou moi, on était là pour aider, puis il y avait les comédiens, la lumière naturelle et tout ça… Mais Vincent a un sens aigu du visuel. Hormis son bagage, il y a aussi tous les trucs qu’il voulait essayer pour Prank. Il y a beaucoup d’expérimentations. Au départ, ce n’est pas un film pour lequel on projetait une grande carrière. Juste faire un film avant nos trente ans, essayer des trucs dans la comédie, lui dans la réalisation. Peut-être moins découper… Au début, on est beaucoup sur Stefie. On ne voit pas tout de suite ses acolytes qui vont arriver. Ils sont d’abord flous en arrière plan. Bref, on a essayé des trucs à la mise en scène comme à l’écriture. On est content que le film ait une vie mais en réalité, il y avait beaucoup de recherche là dedans. Et d’erreurs ! C’est loin d’être un film parfait, mais je pense que c’est là la beauté du film : ses qualités sont aussi ses défauts. C’est une espèce de collage de nos influences, ça montre aussi un peu qui on est, « tous croches » comme on dit en québécois, ce qui moi me plaît.
Alors une partie des influences sont aussi amenées par un principe qui tient à la fois du graphe et de la Bande-dessinée, ces banderoles qui racontent des films…
Dès que le personnage de Jean-Sé a été établi comme artiste… Au départ, lorsqu’il monologuait sur les films qu’il a vus, Predator, Highlander, Die hard, il n’y avait pas d’images. Mais Vincent a vu au montage que ça alourdissait le rythme. Le monteur a eu l’idée de mettre de vrais extraits. Évidemment, quand on est arrivés pour libérer les droits, ça coûtait la peau des fesses. Vincent a pensé que le personnage de Jean-Sé qui devait dessiner le gros pénis pouvait donner à penser qu’une fois chez lui, il s’adonnait un peu au dessin. C’était l’occasion de mettre ces toiles représentant les films. On ne sait pas si c’est légal, mais bon jusqu’à maintenant, on n’a pas eu de problèmes ! Ça a été comme une béquille de pouvoir mettre des images de ces films populaires qui nous nous ont influencés quand on était jeunes. Là, ça montrait un peu d’où est-ce qu’on venait… Pour nous, Die hard est aussi important qu’un film de Belà Tarr. La cinéphilie n’est pas verticale – l’importance entre un film et l’autre -, mais plutôt horizontale. Tous ces titres là font partie d’un grand corpus de films qui nous ont influencé, qu’on aime beaucoup et qu’on ne regarde pas de haut, même si un genre est par exemple plus populaire qu’un autre…
Pour revenir à l’écriture, comment on règle le ton de la joke qui dérape, qui va trop loin ? Surtout à quatre ! On rabote à chaque couche ou au contraire on se dit que ça ne va pas assez loin, qu’il faut pousser plus ?
Pour ce projet, ça s’est fait à l’instinct. Ça venait aussi beaucoup de l’idée de Vincent. C’est aussi lui qui a fait la dernière version de l’écriture avant la réalisation. Sinon, on a fonctionné par couches : Alexandre Auger a fait une première version, j’ai fait la deuxième, Marc-Antoine Rioux la troisième et Vincent, sa version de tournage, pour l’adapter à ce qu’il voulait faire, à ce qu’il avait en tête à l’origine. Donc il a enlevé des trucs et le ton s’est uniformisé.
J’imagine que vous discutiez de ces versions, que vous testiez les gags pour voir si ça faisait marrer…
Oui bien sûr, tout à fait. On faisait des lectures tous ensemble et on en parlait beaucoup. Ça a été assez polémique, un mois intense où on se voyait souvent pour y travailler. Ça discutait sec mais ça a été assez agréable, on a beaucoup appris, ça a renforcé nos liens d’amitié. Ça fait du bien de débattre sur un film en essayant d’aller tous dans la meilleure direction !
C’est même plus facile que quand on doute tout seul…
Oui, même si j’imagine que certains préfèrent être seuls. Il parlent d’ailleurs souvent de tous ces accrochages là. Pour nous, ça a servi le film et lui a donné ce côté « clapé » ( cut ) que je trouve très beau…
Ça va très bien avec les personnages…
Tout à fait, ça donne un côté qui nous ressemble. Quand je le regarde et que je m’imagine plus vieux, je me dirai « Waouh ! Quelle bonne bande d’amis on était… » . Mais oui, on a beaucoup discuté de nos doutes respectifs… Au final, dans le film, il y a des morceaux que moi j’aime moins. Mais bon, tu prends sur toi et je pense que pour le film c’est bien comme ça. Il y a des batailles qu’on a gagnées, des batailles qu’on a perdues de chaque côté, mais c’est ça l’écriture à plusieurs. C’est difficile d’être satisfait à 100 % tout le temps.
Dans ton patronyme, le K c’est celui de KC and the sunshine band, de Louis C.K.…?
( rire ) C’est pour Kamala en fait… C’est un catcheur noir américain de la WWF et c’est un surnom que mes amis m’ont donné quand j’étais jeune et qui m’a suivi toute ma vie. Je l’ai mis dans mon nom d’artiste pour rendre hommage à ce Baie Saint Paul où je suis né et où on me connaissait comme Kamala.
Est-ce qu’aujourd’hui il y a une école ou peut-être un mouvement qui se dessine dans la comédie montréalaise ?
( dubitatif ) C’est très dur à dire. Pour être honnête, il y a peu cette vision du film de genre au Québec. Il y a toujours cette bataille entre le film d’Auteur et le film commercial et populaire et c’est difficile de mélanger les deux avec les influences respectives. Ce qu’on a au Québec, ce sont d’abord des comédies qui s’adressent aux plus vieux, aux 40-50 ans, très burlesques et parfois un peu ringardes. Quand j’ai vu En cloque mode d’emploi ou 40 ans toujours puceau, pour moi c’était nouveau car ces films me parlaient enfin. Jusque là, la comédie québécoise m’intéressait plus ou moins. Pas qu’il n’y ait que des mauvais films mais il n’y avait pas de comédies pour les 18-30 ans. On n’est pas les seuls mais on est vraiment très peu à essayer de faire ça au Québec. Il n’y a pas encore beaucoup de financements. Quand on présente nos projets, ce n’est pas le genre d’histoires qu’ils ont l’habitude de lire, ils ne savent pas trop quoi faire avec. Ils se demandent si c’est une comédie, un drame… C’est les deux ! Est-ce qu’on est vraiment obligés de catégoriser ? Ce qui me plaît, c’est de mêler un peu tous les genres. Pour eux, cette façon là d’approcher la comédie est encore trop nouvelle. ( il réfléchit ) Mais vous en avez en France de ces comédies là, très grand public, un peu ringardes…
( air ennuyé ) oui oui. C’est pareil, elles sont plutôt… moins que plus réussies ! Chez vous, ce serait La grande séduction par exemple ?
Oui, il a bien marché au Québec, Starbuck ( 2011 ) aussi. Là, ce sont des bons mélanges. Mais bon, La grande séduction, ça a quand même quinze ans ! C’est bien de vivre dans le passé, sur son succès mais faudrait voir à changer… Essayer d’en produire d’autres, il y a la place pour ça. Alors je pense que ça s’en vient mais… très tranquillement. Dans la Relève, il y a beaucoup de films artisanaux qui se font, de films de genre. On essaie de diversifier la proposition en ce moment pour que ce ne soient plus que des drames. J’aime bien aussi, on fait de l’excellent cinéma au Québec, mais des fois j’aimerais voir plus de diversité, même dans les genres. Un bon film d’horreur québécois bien réalisé… ( j’avance Thanatomorphose…) Il y en a un mais bon, faut bien le chercher. Même en France… Il y avait Crue ( titre québécois de Grave ) à la semaine de la critique l’an passé que j’aurais vraiment aimé voir. Je pense que la nouvelle génération de cinéastes va s’intéresser sans doute d’avantage à ces nouvelles voies pour le cinéma.
Est-ce qu’au Québec il y a une censure par rapport aux dialogues ou à certaines scènes, des avertissements au public ? Est-ce que par exemple le public jeune peut voir Prank ?
Chez nous, ça fonctionne aussi par classification : général, plus de treize ans si langage vulgaire, plus de seize ans et plus de dix-huit ans. Là nous on est plus de treize. À cause des dialogues et de quelques scène pornos qu’on voit à peine dans le film. On avait justement un peu peur que le film soit interdit aux moins de seize ans, ce qui nous aurait coupé du public québécois. Mais sinon, il n’y a pas vraiment de censure par rapport aux institutions, c’est quand même assez ouvert. Parfois, ça « sacre » un peu ( de sacrements, ça jure un peu trop ) s’il y a beaucoup de « tabarnak », de « crisses », de « câlices ». Petit frère était un film très vulgaire avec beaucoup de sacres parce que le jeune fait partie de ce milieu-là, un milieu plus pauvre où le langage est plus fleuri. Ma mère me sert un peu d’indicateur… Si le film est trop vulgaire, elle s’exclame « Oh mon Dieu ! Mais, mais… ». Finalement dans Petit frère, le côté touchant a été plus fort que les jurons qu’il y a dans le film. Mais la vulgarité du langage, ce n’est pas pour moi le plus important. Il y a beaucoup de films américains très vulgaires et ils fonctionnent quand même. Mais au Québec, on est assez libres de faire ce qu’on veut. Quoique j’aurais été vraiment curieux de savoir si Prank aurait été financé si on l’avait présenté à des comités. Il y en aurait peut-être eu mais nous on a décidé de le faire comme ça, sans argent public, pour rester maîtres de ce qu’on présente, de ce qu’on veut faire. Évidemment, quand les institutions s’en mêlent, ils vont peut-être demander des modifications. Mais je pense qu’on est chanceux au Québec et qu’on peut à peu près faire ce que l’on veut. Bon jusqu’à maintenant, j’ai pas beaucoup travaillé avec les fonds publics ! ( rire )
Comment le public ado et la génération You tube ont reçu le film ?
Pour être honnête, étrangement, ça les a laissés un peu froids ! ( rires ) On s’attendait à ce que ça leur plaise, à ce que ce soit un film plus orienté ados et on s’est rendus compte que non. Notre public cible est plus vieux : fin de la vingtaine, trentaine et même début quarantaine. Beaucoup de cinéphiles qui reconnaissent les influences et qui ont du plaisir à se rappeler leur époque adolescente et éprouvent un sentiment nostalgique. Pour les ados, comme c’est plus proche d’eux, ils avaient l’impression qu’on se moquait un peu de leur tranche d’âge, qu’on les dépeignait comme des ringards qui n’avaient rien à faire, alors que c’est pas du tout ce qu’on pense d’eux ! C’est plutôt comme ça qu’on a vécu notre adolescence. Au Québec, il existe un prix collégial où on présente un film à mille étudiants de 18-19 ans et eux choisissent le meilleur des cinq films sélectionnés. On était donc dans ces cinq films là et on a suivi les délibérations qui ont eu lieu et beaucoup de jeunes avaient détesté le film ( rire ). Mais bon, je me rappelle que quand j’étudiais le cinéma au même âge, j’étais très dur par rapport aux comédies et à ces trucs là. Mon éveil cinématographique, ma cinéphilie y est devenue un peu plus raffinée. C’est sur que là, certains ont trouvé ça insultant, « On est plus vieux que ça ! », alors que nous on pensait quand même leur parler… C’est peut-être un échec à ce niveau là mais bon, ( éclate de rire ) on peut pas gagner sur tout ! Le film est quand même allé à Venise, alors on se console avec ça.
Remerciements : Éric K. Boulianne , Festival 48 images seconde : Guillaume Sapin, Dominique Caron et Jimmy Grandadam ( association la Nouvelle dimension ). Photos d’Éric K. Boulianne au festival (dont photo de tête ) : Eric Vautrey. Moyens techniques : Radio Bartas et Camille Jaunin.
Entrevue avec Benoit Valois-Nadeau pour Métro