Entrevue de Mon cinéma québécois en France

Dans le cadre de la programmation du film Réservoir dans la sélection de novembre 2020 du ciné-club, nous avons contacté la réalisatrice du film, Kim St-Pierre pour une entrevue exclusive ! On la remercie de s'être si gracieusement prêtée au jeu. Laissez-vous emporter par l'univers de la jeune réalisatrice ainsi que de celui de son premier long-métrage. Bonne lecture!


Dans une courte entrevue que vous avez donnée au Festival International du cinéma francophone en Acadie on vous a demandé de décrire votre film en trois mots. Vous avez répondu : fratrie, deuil, spiritualité… et avez ajouté à la liste « drame-drôle ». Diriez-vous que votre film est plus « drame » ou plus « drôle » ?

Aborder la notion de deuil relève définitivement du drame. Ceci dit, par l’appellation drame-drôle, je cherche surtout à différencier mon approche de celle du mélodrame. En ce sens, le drame apporté par le deuil de mes personnages n’est pas monolithique. Comme je l’expérimente moi-même dans la vie, je me suis assurée d’y glisser des touches d’humour. Au final, je crois que c’est un film lumineux qui arrive à faire sourire malgré qu’il s’agisse à priori d’un propos dramatique.

 

Quel a été le plus gros défi à relever, pour vous, concernant la réalisation de ce premier long-métrage ?

Définitivement tourner sur l’eau sans électricité à la merci de Dame Nature! Même si j’avais eu plus de budget, ces enjeux réels et imprévisibles auraient été au rendez-vous. Se lancer dans une pareille aventure pour un premier long métrage, avec le recul, s’avérait de la grande naïveté. Plusieurs fois, nous aurions pu risquer le matériel, la santé de l’équipe ou le film en lui-même. Le Dieu du Cinéma devait être avec nous car malgré les embuches pluriquotidiennes devant ces défis imprévisibles, nous avons réussis et chacun est rentré chez lui en un morceau. Par contre, mon assistant-réalisateur, Guillaume Leuillet, a certainement vieilli de 10 ans sur ce plateau! Hahaha!

 

Et d’autre part, quelle aura été votre plus belle expérience de tournage ? Avez-vous une anecdote marquante à nous raconter ?

Décider d’aller tous ensemble sur le Réservoir Gouin, à environ 10 heures de route d’où nous habitons, et de vivre ensemble en colonie dans un endroit sans électricité et réseau cellulaire a contribué à créer des liens solides entre les membres de l’équipe. Nous étions en retrait complet du monde tel qu’on le connaît. Avant, pendant et après les tournages, nous étions ensemble. Même lors de nos congés. Le nombre de partie de Mölkky et de pétanques que nous avons joué, de partie des Colons de Catan et de Bang Bang, de soirées autour du feu à chanter! La chimie a rapidement collée et nous avons eu d’innombrables fous rires. Je pense que de vivre un peu comme en colonie de vacances, dans des chalets minimalistes, a nettement enrichie notre expérience à tous. Et j’ignore si une telle opportunité se représentera un jour dans ma carrière. Ce tournage restera toujours gravé dans ma mémoire et dans mon cœur.

 

Un huis clos qui s’avère finalement très ouvert sur les étendues du réservoir Gouin en Haute-Mauricie… Ce sont des images inédites au cinéma. Pourquoi avoir choisi ce lieu en particulier ?

Cet endroit au Québec ne ressemble à rien d’autre. Les rivières qui ont été détournées par l’Homme pour créer un réseau de circulation des pitounes de bois au début de l’industrie forestière au Québec et qui permet aujourd’hui de contrôler la pression de l’eau sur les barrages hydroélectriques lors par exemple de la crue des eaux crées un labyrinthe. Aussitôt qu’on s’aventure sur cette étendue, on ne semble jamais en voir le bout. On s’approche d’une berge et on découvre que ce n’est qu’un petit amas de terre et que l’eau continue. D’ailleurs, plusieurs portions du Réservoir Gouin ne sont accessibles que par les airs ou par les eaux, il n’y a donc que très peu d’habitations. C’était impossible à simuler malgré que ce ne soit pas la nature ou les points d’eau qui manque sur notre territoire. Mais ce qui a déterminé le choix de cet endroit sur lequel je n’étais jamais allée avant de vouloir écrire ce film, c’est la présence des bateau-maisons. Quelle métaphore extraordinaire! Voir la demeure glisser dans une aussi vaste étendue est très poétique. C’est l’ancrage du moi à la dérive. Ça colle parfaitement à l’état des personnages. Et ça dynamise certainement le classique huis-clos. Le Réservoir Gouin est le seul endroit au Québec où on peut trouver ces embarcations.

 

J’ai l’impression qu’il y a quelque chose de très spirituel dans la quête des deux frères, Simon et Jonathan. Est-ce que ce film est une manière de racheter le vide spirituel de notre génération (vide que vous évoquez d’ailleurs dans votre dossier de presse) ?

Ma génération est définitivement à la dérive spirituellement parlant. Après le rejet de l’emprise du catholicisme, il n’y a eu aucune relève. Nous sommes en perte de rituels, en perte de sens. Devant les difficultés de la vie, ne pas croire en quelque chose nous rend extrêmement fragiles et vulnérables. En ce sens, je suis très inquiètes des nombreux risques de dérives lorsqu’on aborde la question du cheminement personnel, des croyances spirituelles. Certaines communautés ont des allures sectaires. Le besoin de faire sens avec la vie et ses épreuves est bel et bien réel. Je n’ai personnellement pas encore la clé nécessaire pour vivre en paix et j’avais envie de donner place à ces questionnements. La quête des deux frères s’avère une forme d’ouverture, une initiation à la spiritualité réappropriée.

 

Sous quels aspects pensez-vous que ce film va rejoindre et toucher un public français ?

Je pense que ce qui colle bien avec les valeurs du public français, c’est toute la question de la fratrie abordée dans ce film. Les liens familiaux sont uniques puisqu’ils nous sont imposés à la naissance. Pour le meilleur et pour le pire! Je pense que ce que Simon et Jonathan vivent dans ce voyage initiatique viendra remuer des non-dits dans plusieurs familles. On ne se choisit pas, mais les liens du sang sont puissants. Aussi, ça parle beaucoup dans ce film. Comme dans les films français! Ahahaha! Et on me dit que vous aimez bien nos expressions et notre accent alors vous serez gâtés avec Réservoir!

 

Ce projet de long-métrage vous en a-t-il inspiré d’autres ? Travaillez-vous sur un autre film en ce moment ? Si oui, y retrouverons-nous des thématiques similaires à celles qui ont été traitées dans Réservoir ? La vulnérabilité masculine, la quête spirituelle intérieure, la fraternité/famille, le deuil… ?

Je suis actuellement en écriture de mon prochain projet qui s’appelle Les Autres. En opposition à Réservoir qui était entièrement porté par des hommes, celui-ci repose entièrement sur les femmes. Les adolescentes pour être plus précise. C’est un film jeunesse. Je trouve essentiel, en tant que créateur, d’offrir des œuvres au jeune public pour forger la prochaine génération de cinéphile. Particulièrement au Québec où le fait francophone est constamment menacé par le contenu canadien anglais ou américain. J’y aborde les thèmes de la honte, de l’envie et de la pression que l’on s’impose devant le regard extérieur. Il y a une forme de continuité dans les deux œuvres par la relation familiale qui est encore au cœur de l’histoire. Cette fois entre la fille et sa mère. Il y a définitivement la notion de deuil encore une fois, mais moins littéraire. Personne ne meurt dans ce prochain film. Mais la vie est faite de deuil et dans le contexte où nous vivons tous actuellement, je dois admettre que je trouve le sujet très porteur. Puis je travaille encore en co-scénarisation pour ce projet. J’ai écrit Réservoir avec Isabelle Pruneau-Brunet puis j’écris Les Autres avec Geneviève Simard, deux scénaristes extraordinaires que j’ai rencontré dans ma formation à L’INIS. J’adore la collaboration à 4 mains.

 

Vous faites partie d’une nouvelle génération de cinéastes au Québec. Auriez-vous un conseil à donner aux prochains qui veulent se lancer dans la scénarisation ou la réalisation de films ?

Je donnerais le même conseil que Philippe Falardeau avait donné à ma classe de cégep en cinéma : Faites des films. J’ai personnellement suivi les traces de ce réalisateur fétiche jusque dans les rangs du mouvement Kino, un regroupement planétaire d’artistes qui n’ont pour limite que leurs moyens pour faire des films et qui se donnent rendez-vous mensuellement pour présenter des courts-métrages inédits sur grand-écran devant public. J’y ai été très active pendant une décennie. J’y ai fait plus de 30 films. Évidemment, ils sont loin d’être tous mémorables. C’est néanmoins en faisant des films que j’ai appris mon métier, beaucoup plus que sur les bancs d’école. Si l’on veut devenir scénariste ou réalisateur, et ça vaut pour n’importe quel métier créatif, il faut se commettre. L’adage le dit bien : C’est en forgeant qu’on devient forgeron! Alors cessez les excuses, appelez des amis et faites des films.

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