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Bandeau : Justine Baillargeon
Benjamine de la team québécoise au dernier festival 48 images seconde, Noémie Brassard n’a que deux courts-métrages à son actif. Et pourtant, la réussite étonnante d’Enjambées, documentaire de huit minutes à peine, justifie pleinement notre enthousiasme et cet entretien. Dans un style aussi éloigné que possible, elle y traites les mêmes thématiques et inquiétudes que Lucille Hadzihalilovic pour son Innocence. Hors les réactions de ses pairs ou celle, unanime, du public cévenol, ce sont les enfants du collège des Trois vallées à Florac qui l’ont définitivement adoubée à l’issue de la projection pour mieux la bombarder de questions. C’était là l’exploit le plus difficile : tendre un miroir aux pré-adolescents et passionner autant les garçons que les filles avec les angoisses et les secrets de Joséphine, dix ans et toutes ses dents. L’explication de ce succès ? Ce n’est pas tant la qualité du miroir qui compte que le savoir écouter de celles qui sont derrière ! En attendant de retrouver les prochains films de Noémie ( que nous remercions pour son énergie, sa gaieté, son engagement lors des débats et sa disponibilité ) à Florac, Lussas ou ailleurs, quelques questions pour percer les mystères de cette alchimie documentaire…
Quelle est votre formation ?
J’ai fait le secondaire et mes études en cinéma, cinq ans au total, option réalisation.
On vous voit dans une vidéo sur le net déclamer une poésie dans un amphithéâtre, visiblement à l’université, pendant les grèves de 2012. Un texte assez fort et très apprécié du public. Vous écriviez depuis longtemps ?
J’écris chez moi la majeure partie du temps et c’est assez rare que les gens lisent, sauf que là c’était un projet de livre collectif et citoyen conçu pendant les mouvements sociaux de 2012. Ça s’appelait Un printemps citoyen ou quelque chose de ce genre là…
Enjambées a été réalisé dans le cadre d’un dispositif mis en place avec Spira. Quel était le cadre de ce projet, un laboratoire ?
Il s’agissait d’un Laboratoire de création documentaire initié par Vidéo femmes il y a déjà pas mal d’années. Tous les trois ou quatre ans, il offre à neuf réalisatrices l’occasion de suivre des formations et de se professionnaliser. Et à l’issue de cette session, de réaliser un court-métrage documentaire. J’ai fait partie de la dernière promotion avec huit autres filles et nous avons reçu des formations en montage, en direction photo, mais aussi sur l’histoire du documentaire, notamment féminin et au Québec. Et surtout, on travaillait sur les films des autres filles. J’ai ainsi fait le son sur deux autres films et les films qui ont assuré le son et l’image sur le mien ont elles-mêmes fait le leur. Au final, neuf courts-métrages en sont sortis…
Ça paraissait logique de suivre un personnage féminin et est-ce que les autres courts-métrages faisaient pareil ?
Pas forcément. Il y a une fille qui elle a choisi un homme. Sinon Amélie ( Boutin ) a fait un film sur l’accouchement sans péridurale à l’hôpital… Julie ( Pelletier ) avait fait son film sur un marché aux puces. Il y avait aussi un film sur les enfants qui parlait de la chasse, un autre sur une artiste… Bref c’étaient des sujets plutôt variés ! Pour certaines, c’était une première expérience, alors que moi c’était déjà le second film après mes cinq années de formation. Je n’étais pas complètement démunie comme d’autres qui faisaient leurs premières armes. Et c’est ça qui était bien : on pouvait s’apprendre des choses entre nous, s’aider. Il n’y avait aucun esprit de compétition.
Comment avez-vous rencontré Joséphine, l’héroïne d’Enjambées ?
Auparavant, j’avais réalisé un film, Défriche, sur Lise-Anne, une fille qui s’était justement beaucoup impliquée dans le mouvement de 2012. La mère de Joséphine est une amie de Lise-Anne.mais moi ma relation est surtout avec Joséphine, pas avec sa mère et sa grande sœur, Simone, qui à la base faisait aussi partie du projet. Un film m’a donc mené à l’autre…
Donc ce projet-ci comprenait deux personnages…
( rire ) Non. Dans ce projet là, il y avait cinq personnages au début de l’écriture, tous féminins. Mais finalement ça s’est concentré sur Joséphine et ça suffit largement ! ( rires )
Mais est-ce que vous avez recentré le projet à cause du matériel que vous aviez déjà ou c’est plutôt du à la personnalité de Joséphine qui vous a décidé à vous concentrer sur cet âge précis ?
Il y a plusieurs raisons. D’abord les conditions incompressibles du temps imparti, très court…
Combien de temps entre l’idée et la réalisation ?
À peu près deux mois. Le film a été lancé en février alors que le projet a débuté en octobre, sachant qu’avec les temps de formation, on n’a pas commencé à filmer avant décembre ou janvier.
Et pour le tournage en tant que tel ?
On a fait ça en une journée ( étonnement ) Oui ! On est allé au cours de Danse avant midi et l’après-midi l’interview.
Du coup le film était très préparé à l’écriture ? Des choses étaient par exemple story-boardées ?
Pas du tout ! J’avais donné quelques références à ma directrice photo, entre autres la scène d’ouverture des Démons de Philippe Lesage ( film très bien reçu au Québec et présenté à Florac en 2016 ). On y voit des jeunes qui s’entraînent dans un gymnase et c’était ma référence pour filmer le ballet. Pour l’interview, j’avais donné quelques cues ( indications ) mais je lui faisais confiance. C’est vraiment rare parce que je laisse beaucoup de liberté à ma chef opératrice. Je regarde très rarement, je donne quelques indications mais c’est vraiment mes yeux. J’aime mieux préparer à l’avance pour être avec Joséphine sur le tournage. Sinon, on a beaucoup parlé du sens du film mais pas tant que ça de la technique ou de comment on allait réaliser ça. Et puis le film se fait beaucoup au montage. Parce que bon… j’avais préparé l’entrevue mais ce n’est quand même pas comme pour une fiction !
Au final, il y a beaucoup de matière que vous n’avez pas utilisée ?
Oui. Pour huit minutes, on a filmé toute une journée, soient quelques heures.
Pour reprendre l’expression d’André Gladu, le « ratio » est important ?
Et bien… je ne m’en souviens pas du ratio ! Pas tant que ça finalement. Huit minutes de film c’est très court ( rire )
Justement le film passe vite et est très bien monté…
Moi je trouve qu’il va trop vite ! ( éclate de rire)
On va d’une émotion à l’autre et on n’a pas le temps de le voir passer ! Mais ce qui est beau aussi, c’est que justement le public garde une frustration et ça c’est très réussi. Hormis la gestion du silence, une des forces de ce montage c’est de différencier son et image, comme quand on nous parle de la difficulté de sortir de l’enfance et que les filles jouent au fond du plan…
Oui quand elle dit qu’elle n’a pas hâte d’entrer dans la vie adulte… de payer le loyer, d’avoir un travail. J’avoue qu’à chaque fois que je revois mon film, la fin me brise le cœur. Quand elle dit qu’elle ne peut plus vivre dans son monde imaginaire ( émue ), ça me fait de la peine !
Le corps est filmé ici de façon très pudique. Le début de ventre à peine dévoilé, car Joséphine est la seule à être un peu plus ronde que les autres danseuses ou encore l’imperfection d’une omoplate saillante. Ce point de vue était pensé ?
Dans nos discussions comme au montage, on a parlé d’éthique. Il s’agit du corps d’assez jeunes filles et moi à leur âge, je n’aurais pas été à l’aise. Donc j’étais contente d’être une femme et d’avoir un regard sur ces filles là parce qu’un homme aurait été mal à l’aise sur ce film ! C’est délicat : elle parle quand même de l’arrivée de ses seins et le plan d’après montre la poitrine naissante d’une autre jeune fille. Moi je ne trouvais pas ça si pudique mais plutôt respectueux. Présent.
Mais peut-être que le fait de filmer à ce moment là une autre fille et pas Joséphine…
Mais certains spectateurs croient que c’est Joséphine…
… la problématique devient universelle…
Oui, c’était aussi mon but, parce que là toutes ces filles de dix ans ont des corps extrêmement différents. Une est minuscule, celle qu’on voit au générique de fin, d’autres sont presque des adolescentes, maquillées, portent des soutiens-gorge… Je trouvais cette Joséphine intéressante. Elle avait la moitié de la tête rasée. Elle était atypique !
Le choix de la danse est lié à la passion de Joséphine ou simplement parce que ça permettait de porter cette thématique du corps et de son changement ? Parce que c’est une discipline qui s’occupe de former les corps…
Finalement, c’est au montage que ça a atteint cette portée, pris du sens. Mais j’ai hésité car si elle fait beaucoup de danse, elle joue aussi au hockey. Donc je me demandais si je filmais, l’un ou l’autre. Ou les deux. La danse c’est parfait mais le hockey était intéressant aussi. Non je n’avais pas pensé tout ça à l’avance.
Si le film atteint ce degré de réussite, c’est parce qu’il est réécrit à chaque phase de son élaboration ?
Alors sur le papier, ça n’a rien à voir… ( rire ) Mais c’est ça le documentaire ! On va à la pêche et on ne sait pas trop ce que l’on va prendre. On espère capter certaines choses, on les trouve ou pas, ça dépend…
Vous privilégiez le documentaire ou pas forcément…
Ah, moi je ne ferai pas de fiction ! À la limite du cinéma expérimental… C’est le documentaire qui m’a attiré au cinéma, c’est ma sensibilité. C’est ce que je préfère voir, même si j’apprécie la fiction.
Vous vous exprimez dans un court documentaire, Hommes seulement, consacré à la place des femmes dans le cinéma, thématique qui était aussi présente au festival par la table ronde à laquelle vous avez participé. Pour vous y a-t-il un cinéma féminin ou simplement le cinéma tout court mais des conditions d’accès différentes selon les genres ?
Je dirai un peu des deux. Il faudrait plus d’équité au niveau du financement des films, dans la place des femmes dans ce milieu, parce que je crois qu’il y a un regard et une sensibilité qui peuvent leur être particulières, qui ne sont pas les mêmes chez toutes les femmes. Il n’y a pas « un cinéma de femmes » mais « des cinémas des femmes ». Ces cinémas là, on pourrait quand même leur faire plus de place ! En tout cas chez nous, je ne sais pas en France comment ça se passe…
Exactement pareil, sauf qu’on a l’impression qu’au Québec la question est plus avancée !
Cette année de nombreuses grosses mesures ont été prises chez nous par les institutions. C’est assez étonnant et même plaisant !
Quel est votre prochain projet ?
( cri d’exclamation ) Je ne sais pas. Aucune idée ! Il m’attend quelque part. Je vais bien le découvrir un jour ! ( rire )
A quoi vous consacrez-vous en ce moment, à présenter Enjambées un peu partout ?
Un peu, à lui donner une vie. Mais je m’occupe aussi de la Communication chez Spira et je travaille dans un organisme de diffusion à Québec, Antitube. Voilà comment j’occupe mon temps et je paie mes études, après coup d’ailleurs… Merci !!
Remerciements : Noémie Brassard, Festival 48 images seconde : Guillaume Sapin, Dominique Caron, Pauline Roth et Jimmy Grandadam ( association la Nouvelle dimension ). Photos du festival : Eric Vautrey. Moyens techniques : Radio Bartas et Camille Jaunin.